C'est un élément qui est jusque-là passé inaperçu. Mais il risque de bousculer le marché bancaire français. Comme le confirme la Banque de France, à partir du 20 novembre 2026, « la facilité de caisse et le découvert bancaire basculent dans le régime complet du crédit à la consommation ». C'est l'une des conséquences de l'adoption, le 3 septembre en Conseil des ministres, de l'ordonnance 2025-880 relative au crédit à la consommation. La France n'avait pas le choix : elle devait transposer la Directive européenne du 18 octobre 2023 sur le sujet.
Selon les experts, cette nouvelle règlementation vise avant tout à « limiter les dérives et mieux protéger les consommateurs » en imposant des process plus stricts, de meilleures pratiques dans l'information et l'accompagnement... Surtout, l'ordonnance élargit la liste de produits relevant de ce cadre : location avec option d'achat, paiement fractionné... et donc le découvert bancaire.
Faites-vous partie des 8% de Français à découvert chaque mois ?
Sous les radars
Et ce sera une petite révolution, alors que ce dernier se situe dans une « zone grise ». Selon la Banque de France (BDF), il est pour le moment considéré comme un crédit, mais « soumis à des exigences différentes ».
Dans le cas le plus répandu, un solde positif à retrouver sous 30 jours, on parle alors de « facilité de caisse ». Une situation particulière : à découvert, le client est en situation d'emprunt, mais dans des conditions floues et peu encadrées. « Il passe un peu sous les radars », résume Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférence à l'Université de Strasbourg et auteur du livre Le droit du Crédit à la Consommation. C'est notamment ce type de situation que l'Europe, et donc par extension la France, souhaitent réguler.
Informer et évaluer les clients
Concrètement, qu'est-ce qui va changer ? Beaucoup de choses ! Avant tout, « l'information précontractuelle » est totalement repensée. Dans un premier temps, « le client devra recevoir une présentation claire des coûts, du TAEG et des conditions de remboursement », synthétise la BDF. Comme pour tout crédit, le conseiller devra fournir et commenter à l'emprunteur une proposition détaillée, notamment en matière de taux global, frais compris. Puis l'offre finale devra être encore plus explicite et détaillée.
Et ce n'est pas fini ! La BDF ajoute qu'avant accord, la banque devra « évaluer la solvabilité du client, afin de s'assurer qu'il est en mesure de la rembourser ». En dessous de 200 euros, les contraintes seront légères. Mais dès 201 euros, cette étude devra être minutieuse : revenus, dépenses... Il faudra même consulter le fichier des incidents de crédits ! « La banque devra produire des justificatifs lors des contrôles », explicite Jérôme Lasserre Capdeville. « En cas de difficulté, les juges des contentieux de la protection vont demander les preuves de cette analyse. » Sans cela, l'établissement pourrait être sanctionné : amende, annulation des intérêts...
La fin du découvert automatique
Ces dispositions, précises et bien plus strictes, vont modifier les pratiques. « Il y aura moins d'autorisations faciles, naturelles, quasiment automatiques, souligne Jérôme Lasserre Capdeville. Le découvert perdra alors ce côté un peu universel. Il faudra que le client en fasse la demande expresse, et à chaque fois, la banque devra étudier si elle l'accorde. »
Ce « changement de paradigme », comme le murmure-t-on dans le milieu, va avoir une conséquence principale : nous serons encore moins égaux face au découvert. « Pour la population riche, l'impact sera limité, juge Jérôme Lasserre Capdeville. Il faudra respecter la procédure, mais il n'y aura pas de souci, les justificatifs seront solides. »
« Les conditions plus restrictives vont évidemment rendre l'accès au découvert un peu plus compliqué pour certains ménages »
Les choses sont différentes pour les personnes moins aisées. « Les conditions plus restrictives vont évidemment rendre l'accès au découvert un peu plus compliqué pour certains ménages », analyse Timothée Waxin, responsable du département Finance, data & performance à l'École de Management Léonard de Vinci.
Car depuis longtemps, les conseillers ont tendance, pour déterminer la solvabilité, à appliquer au crédit conso « la règle des 30% ». Ils vont ainsi établir si les charges mensuelles (loyer/crédit immo, factures...) ne dépassent pas 30% du salaire net. Or en se basant sur cette formule, une personne qui gagne 3 000 euros et paye 1 000 euros de charges est déjà à 33% d'endettement ! Considéré comme une mensualité de crédit, un découvert régulier de 400 euros ferait alors passer le taux d'endettement à 46%. En toute logique, le dossier ne passerait pas !
Pour être dans les clous des 30% dans notre exemple, avec 1 000 euros de charges et 400 euros de découvert, il faudrait gagner près de 5 000 euros nets mensuels... « Même pour une personne qui gagne 2 000 euros, un découvert de 1000 euros, voire 500, pourrait être impossible à obtenir », suggère Jérôme Lasserre Capdeville. La facilité sera-t-elle prise en compte autrement dans le taux d'endettement, quitte à biaiser la solvabilité réelle ? La règlementation doit être précisée d'ici l'an prochain.
Mais sachant que selon l'Observatoire des inégalités, un quart des salariés gagnent moins de 1 750 euros nets, le découvert pourrait devenir un produit de luxe. « En tout cas, on peut constater une évolution vers la restriction. »
« Même pour une personne qui gagne 2 000 euros, un découvert de 500 euros pourrait être impossible à obtenir »,
« Même pour une personne qui gagne 2 000 euros, un découvert de 1 000 euros, voire 500, pourrait être impossible à obtenir », suggère Jérôme Lasserre Capdeville. Sachant que selon l'Observatoire des inégalités, un quart des salariés gagnent moins de 1 750 euros nets, la règlementation en fera-t-elle un produit de luxe ? « En tout cas, on peut constater une évolution vers la restriction. »
Les ménages moins aisés exclus ?
Pauline Dujardin, déléguée générale de la Fédération Crésus, réseau d'associations accompagnant les personnes en difficultés financières, partage le même constat. « Il n'y aura plus cette notion d'accès automatique au découvert. » Même si elle assure que pour les personnes au budget un peu moins serré, « il y aura quand même des facilités, à la marge ».
Pour autant, elle défend l'idée que cette mesure soit « protectrice » car « beaucoup de personnes sont contraintes de vivre sur leur découvert. Elles ne récupèrent jamais la totalité de leurs ressources en fin de mois. »
L'experte parle de « spirale » : les rentrées d'argent servent à remettre le compte, alourdi des frais forfaitaires et agios, à flot. Une fois que le contrôle de solvabilité sera mis en place, des millions de Français auront donc un accès limité, voire nul, au découvert. « De l'encadrement, ce n'est pas forcément un mal. Malgré tout, c'est de l'argent que l'on doit rembourser. Est-ce que cela ne mettait pas des personnes dans la difficulté ? »
D'autant qu'elle identifie une autre problématique : « Je vois beaucoup de gens à qui l'on a accordé des découverts successifs. Cela coûte cher. Et un jour, la banque l'a coupé. » La résiliation, possible moyennant un préavis justifié, s'accompagne d'une obligation rapide de remboursement. Ce qui s'avère souvent complexe. D'ailleurs, l'ordonnance établit une règle : en cas de découvert « coupé », le client pourra restituer les fonds en douze mensualités.
Quid des comptes actuels ?
Une question se pose néanmoins. La nouvelle ordonnance, s'applique aux « nouvelles » autorisations de découvert, accordées à partir du 20 novembre 2026. Qu'en est-il de celles en vigueur ? Selon la Banque de France, elles ne sont « pas concernées par le nouveau régime ».
Une situation paradoxale : des clients qui ne seraient en théorie « plus éligibles » disposeront encore de facilités... Dès lors, que vont faire les établissements financiers ? Jérôme Lasserre Capdeville anticipe le fait que, dans l'esprit du nouveau cadre, « les banques délaissent les clients un peu en difficulté, ne leur consentent plus du tout de découvert. On pourrait alors s'attendre à beaucoup de résiliations. » Timothée Waxin va dans son sens : « la question des résiliations va clairement se poser ». Mais cela reste à confirmer, d'ici un an.
Casse-tête
C'est peu dire que la situation risque de bousculer le monde bancaire. « Beaucoup de services juridiques de banques commencent à peine à se pencher sur l'ordonnance et ses répercussions, confie Lasserre Capdeville. Quand j'en parle avec eux, ils sont inquiets ! » Un exemple : l'ordonnance ne dit pas comment ce nouveau « crédit » va impacter les capacités d'emprunt des ménages. Il faudra savoir s'il doit être pris en compte pour l'obtention d'un autre prêt, comme l'achat immobilier.
Pour tout le secteur, le professeur identifie « un travail monumental à mener. Tout est à revoir : les formations, les discours, le process... Le système sera bien plus lourd. » C'est la raison pour laquelle l'ordonnance s'appliquera seulement dans un an. « Les banquiers vont avoir besoin de temps pour s'adapter ! »
Jérôme Lasserre Capdeville juge que ces incidents concernent essentiellement « les clients en difficulté ne relevant pas des dispositifs de clientèle fragile ». Des publics qui ne seraient justement plus éligibles à de nouvelles facilités. En protégeant les consommateurs de ces risques, « ces ressources vont alors être limitées, pointe Timothée Waxin. Cela peut nuire au produit net bancaire des grands groupes. » En bref, c'est un vrai big-bang qui s'annonce !








