Jérome Lasserre Capdeville, Maître de conférences HDR à l' Université de Strasbourg
Jérome Lasserre Capdeville
Maître de conférences HDR à l' Université de Strasbourg
Jérôme Lasserre Capdeville est un universitaire français spécialisé en droit bancaire, droit pénal des affaires et droit financier. Il est maître de conférences habilité à diriger des recherches (HDR) à l’Université de Strasbourg et enseigne également à Sciences Po Strasbourg depuis 2006.
Jérôme Lasserre Capdeville, comment fonctionne actuellement le droit en matière d'octroi d'un découvert autorisé ?

Jérôme Lasserre Capdeville : « Aujourd'hui, le découvert autorisé est coupé en trois catégories, selon la durée de remboursement prévue par la convention de compte. Si c'est plus de trois mois, on applique tout le droit du crédit à la consommation, dont une analyse pointue de la solvabilité du demandeur de crédit et une consultation du FICP [fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, NDLR]. Pour les autorisations de découvert remboursables entre plus d'un mois et trois mois, nous avons un régime un peu allégé : on applique certaines règles strictes (et notamment l'analyse de la solvabilité et la consultation du FICP) et d'autres qui le sont beaucoup moins. Et puis, nous avons le découvert remboursable sous 30 jours. Il n'impose pas l'application de ce droit protecteur, par conséquent la banque est totalement libre en la matière. Elle doit seulement appliquer le droit des contrats - une offre, une acceptation du client - mais n'a aucune obligation, légalement parlant, d'analyser la solvabilité. Dès lors, en pratique, les banques peuvent parfaitement accorder de tels découverts sans étudier préalablement la situation des demandeurs de crédits, et donc donner leur accord très facilement, alors même que ces opérations concernent un grand nombre de clients. »

« En pratique, les banques peuvent parfaitement accorder de tels découverts sans étudier préalablement la situation des demandeurs de crédits »

Que va changer l'entrée en vigueur de la directive pour les découverts bancaires ?

Jérôme Lasserre Capdeville : « Cette souplesse dans l'octroi de découverts sous 30 jours va disparaître. À partir du 20 novembre 2026, même ces découverts donneront lieu à une analyse de la solvabilité de l'usager, c'est-à-dire que la banque va devoir demander des justificatifs concernant ses revenus, son patrimoine et ses charges récurrentes. De surcroît, si l'autorisation de découvert demandée est supérieure ou égale à 200 euros (et c'est le plus souvent le cas, semble-t-il), il y aura en plus une consultation du FICP. »

Quelles seront, selon vous, les conséquences pratiques de cette évolution pour les usagers ?

Jérôme Lasserre Capdeville : « Les personnes qui ont besoin de ces crédits sous 30 jours sont, à mon sens, celles qui ont le plus de difficultés à boucler leurs fins de mois, en raison d'une situation budgétaire délicate. Donc, au terme de l'analyse de solvabilité, elles risqueront de recevoir une réponse négative de la part de leur banque, avec le risque d'aggraver encore leurs difficultés. Il est à craindre que le nombre de clients financièrement fragiles, aujourd'hui de 4,3 millions de personnes, augmente encore. »

« Il est à craindre que le nombre de clients financièrement fragiles, aujourd'hui de 4,3 millions de personnes, augmente encore »

L'usage du découvert autorisé par les personnes en difficultés financières ne présente-t-il pas des effets pervers ? Certains spécialistes du sujet estiment que cela éloigne les usagers concernés des dispositifs qui pourraient les aider, comme l'offre bancaire destinée à la clientèle fragile, qui permet notamment de bénéficier d'un plafonnement des frais d'incidents, ou même la procédure de surendettement ?

Jérôme Lasserre Capdeville : « Si l'objectif est de contraindre ces personnes à entrer dans le droit chemin, je pense, à titre personnel, que durcir l'accès à l'autorisation de découvert remboursable sous 30 jours n'est pas le bon angle d'attaque. En revanche, je suis beaucoup plus favorable à une autre évolution que personne n'a encore constatée : c'est la modification de l'article L. 133-17 du Code de la consommation. Aujourd'hui, il résulte d'une lecture a contrario du dernier alinéa de cette disposition légale que, pour les demandes de prêts personnels d'un montant inférieur ou égal à 3 000 euros effectuées sur un lieu de vente ou à distance, le prêteur n'est pas tenu de vérifier, à l'aide de justificatifs, les éléments fournis par l'emprunteur concernant ses ressources, ses charges et ses crédits en cours. Voilà qui permet de rapidement s'endetter ! Il suffit ainsi d'aller sur internet, de demander, par exemple, 2 000 euros et d'annoncer 6 000 euros de salaire par mois pour être sûr d'obtenir son crédit... Or, l'article 20 de l'ordonnance du 3 septembre 2025 modifie cet article L. 312-17 afin que son régime s'additionne à celui de l'article L. 312-16 relatif à l'analyse de la solvabilité. Dit autrement, pour ces petits crédits (dont le taux d'intérêt peut aller jusqu'à 23% !), l'établissement prêteur ne pourra plus les accorder sans avoir étudié préalablement la situation du demandeur de crédits à la vue de justificatifs utiles. Je trouve, pour ma part, cette évolution très positive. Je la préfère à celle concernant les autorisations de découvert de 300 ou 400 euros, qui permettent de boucler les fins de mois. »

« Aujourd'hui, il suffit d'aller sur internet, de demander par exemple 2 000 euros, d'annoncer gagner 6 000 euros par mois, pour être sûr d'obtenir son crédit »

Parmi les nouvelles dispositions introduites figure également la possibilité pour la banque de diminuer, de manière unilatérale, le montant de l'autorisation de découvert existante. Pensez-vous qu'elles vont s'emparer de cette disposition ?

Jérôme Lasserre Capdeville : « Le droit le leur permettra. Je ne pense pas qu'elles le feront, en tout cas pas pour les clients qui parviennent, bon an, mal an, à rembourser leur découvert tous les mois et qui paient des agios. »

La directive intègre aussi des dispositions visant à mieux encadrer l'octroi de mini-crédits instantanés ou de facilités de paiement en 3 ou 4 fois. Considérez-vous cela comme un progrès ?

Jérôme Lasserre Capdeville : « Bien sûr. Je le dis à chaque fois que l'on m'interroge sur le sujet : il s'agit globalement d'un excellent texte, qui va permettre de mieux protéger les consommateurs, par exemple en imposant plus d'informations, mais aussi en favorisant les possibilités de rétractation et de remboursement anticipé pour un plus grand nombre de crédits, et notamment pour les paiements en plusieurs fois, et ce quel que soit le montant emprunté. »