Faut-il dire adieu aux « pièces rouges » de 1 et 2 centimes d'euros ? Voilà des années que la Commission européenne se pose la question, sans qu'aucune décision n'ait encore été prise.

En attendant, certains pays avancent sur le sujet. Récemment, le Trésor américain a annoncé l'arrêt de la production des pennies, les pièces d'un cent. Une décision poussée par le président Donald Trump et motivée par des questions économiques : selon le rapport 2024 de l'US Mint, l'agence qui produit et met en circulation les pièces aux États-Unis, la fabrication et la distribution d'un penny coûtent 3,69 cents, soit près de quatre fois sa valeur faciale.

Pourrait-on faire de même en France ? Quelles seraient les conséquences ? Nous avons interrogé Morgan Reyrolle, directeur opérationnel de Coinstar France, une entreprise spécialisée dans la collecte et la remise en circulation des pièces de monnaie.

Les pièces rouges ont-elles encore une utilité ?

De moins en moins, sans doute. Les paiements en espèces, d'abord, sont généralement en repli. Pour la première fois, en 2024 en France, le cash a été dépassé par la carte bancaire, qui représente désormais 48% des transactions de proximité, contre 43% pour les espèces (1).

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Par ailleurs, parmi les espèces disponibles, les pièces rouges sont certainement les moins utilisées. « Ça prend de la place, ça abîme le porte-monnaie et ça n'a pas grande valeur, donc on les laisse chez soi », constate Morgan Reyrolle. Qui n'a pas, effectivement, un récipient à la maison dans lequel il accumule des pièces rouges ? Le phénomène est massif : « On estime à 4 milliards le nombre de pièces qui dorment chez les Français. Soit l'équivalent de 700 millions d'euros. »

La France peut-elle choisir seule de cesser de produire des pièces rouges ?

Oui, la France est souveraine en la matière, même si elle partage sa monnaie avec ses voisins. Elle frappe, en effet, ses propres pièces, par l'intermédiaire de la Monnaie de Paris.

Il existe d'ailleurs des précédents dans la zone euro. L'Irlande, la Belgique et l'Italie ont cessé de frapper les pièces de 1 et 2 centimes d'euros. Les Pays-Bas les ont même retirées de la circulation. Quant à la Finlande, elle ne les a tout simplement jamais mises en circulation depuis l'introduction de l'euro en 2002.

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Quelle serait l'économie pour l'Etat ?

C'est un des principaux reproches adressés aux pièces rouges : elles coûtent plus cher à produire que ce qu'elles valent sur le marché. « Le coût de production d'une pièce d'un centime, c'est 1,7 centime environ », confirme Morgan Reyrolle. « Forcément, arrêter la production signifie faire des économies. » Combien ? Difficile à dire avec précision. « On parle de plusieurs dizaines de millions d'euros par an. Nous sommes donc sur une économie relative, mais une économie quand même. »

Comment se déroulerait la fin des pièces rouges ?

La solution adoptée par la plupart des pays ayant franchi le cap est assez simple : ils ont choisi de cesser la production, mais de laisser circuler les pièces existantes, qui ont conservé leur valeur légale. Si la France faisait de même, les pièces de 1 et 2 centimes ne disparaîtraient donc pas, en tout cas pas du jour au lendemain.

Y a-t-il un risque de hausse des prix ?

C'est l'une des craintes, et sans doute l'un des freins, à la perspective de cesser la production des pièces rouges. Une telle décision rendrait nécessaire, en effet, un arrondi des prix dont beaucoup craignent qu'il soit défavorable aux consommateurs.

Comment cela s'est-il passé dans les pays qui ont pris cette voie ? « Il y a eu très peu d'inflation », témoigne Morgan Reyrolle, « car que le mouvement a été accompagné par les pouvoirs publics ». Concrètement, les pays concernés ont légiféré pour inciter les commerçants à arrondir leurs prix au palier de 5 centimes d'euros le plus proche, et pas au palier supérieur.

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Y a-t-il d'autres dommages collatéraux possibles ?

Le principal risque est celui d'une pénurie. C'est ce qui s'est passé en Belgique : l'arrêt de la production des pièces d'un et deux centimes a entraîné une pénurie des cinq centimes, plus sollicitées avec le nouvel arrondi. Un tel retrait aurait également des conséquences pour certaines personnes marginalisées, notamment celles qui font la manche. Enfin, la Monnaie de Paris pourrait être amenée à supprimer des emplois pour compenser la fin de la production et le manque à gagner qu'elle représente.

(1) Source : Banque centrale européenne