Les Architectes des Bâtiments de France (ABF), un ennemi commun pour les maires de tous bords ? Ces 189 experts, répartis dans chaque département, suscitent régulièrement des réactions contrastées et parfois agacées. Leur rôle consiste à superviser les projets de construction et de rénovation des façades – incluant portes, fenêtres et toitures – des habitations situées dans un rayon de 500 mètres autour d'un monument classé ou inscrit au patrimoine.
Les propriétaires souhaitant faire des travaux sur leur bien à proximité d'un tel monument sont également légion. À Paris, par exemple, 95% du territoire est concerné. À l'échelle nationale, 20 000 communes comptent un édifice patrimonial, qu'il s'agisse d'une église, d'une tour remarquable ou d'un ouvrage architectural particulier. Résultat : 32% de la population doivent se conformer à une procédure administrative complexe pour obtenir l'aval des ABF. Pourtant, ces experts du patrimoine, qui s'expriment principalement par courrier, ne font pas toujours consensus.
Une proposition de loi votée le 19 mars
Des décisions jugées incohérentes, des avis changeants d'un dossier à l'autre, une présence sur le terrain jugée insuffisante et des recommandations entraînant une augmentation significative des coûts... Les critiques fusent. Pendant six mois en 2024, une mission d'information menée par des sénateurs a recueilli de nombreux témoignages sur le sujet. À l'issue de cette enquête, une proposition de loi a été déposée dans un cadre transpartisan et sera soumise au vote le 19 mars, comme le rapporte Le Parisien.
« Les ABF sont un bon exemple de l'incompréhension entre l'administration et les citoyens, illustre Pierre-Jean Verzelen, le sénateur rapporteur de la proposition de loi, auprès du Parisien. C'est un sujet d'agacement permanent. Il y a des citoyens qui déposent des dossiers et à qui on réclame des ajustements hallucinants ; ceux qui ne demandent pas d'autorisation et font n'importe quoi et puis, parfois, ceux qui dénoncent leurs voisins ! Dans un village, le sujet des ABF pourrit l'ambiance ! »
Immobilier et travaux : faut-il forcément faire appel à un architecte ?
Dans les grandes agglomérations, les services d'urbanisme accompagnent généralement les habitants dans la constitution de leurs dossiers. En revanche, dans les communes plus petites, les citoyens se tournent souvent vers leur maire pour tenter de comprendre les courriers administratifs. Mais comment justifier qu'un particulier essuie un refus pour l'installation de nouvelles fenêtres, tandis que son voisin a reçu un feu vert quelques mois auparavant ? Comment expliquer la multiplication des contraintes – choix du bois plutôt que du PVC, moulures spécifiques, type de vitrage, espacement précis entre les carreaux, nature du joint... – qui découragent certains à poursuivre leurs travaux ?
Seulement 7% d'avis défavorables
« Chaque dossier est étudié au cas par cas, assure-t-on au ministère de la Culture, dont dépendent les ABF. Ce n'est jamais le même bâtiment, la même époque de construction... Sur les 500 000 avis rendus chaque année, seuls 7% sont défavorables. »
Ce chiffre surprend de nombreux élus. « En réalité, la majorité des dossiers ne reçoit pas un refus catégorique, mais un oui assorti de multiples modifications qui alourdissent considérablement la facture, se plaint un maire de village. Moi, je ferme les yeux et, tant que le projet reste cohérent et ne dénature pas le paysage, j'encourage les habitants à réaliser leurs travaux comme prévu. »
Cependant, cette prise de liberté comporte des risques. Les ABF peuvent exiger une remise en conformité, et des sanctions financières peuvent être prononcées par le tribunal. « Ces cas restent rares, reconnaît-on au ministère de la Culture, où il n'existe pas de statistiques précises sur les poursuites engagées. Évidemment, un ABF sera plus attentif lorsqu'il s'agit d'une commune à fort enjeu patrimonial. Par ailleurs, ce sont souvent les services d'urbanisme locaux qui intentent des actions contre les habitants. Si l'on souhaite préserver la qualité du patrimoine, ces exigences sont nécessaires. »
Doit-on alors s'attendre à un affrontement entre les défenseurs du patrimoine et les élus locaux à propos de cette proposition de loi ? Pas forcément. « Nous partageons une grande partie des constats formulés par les sénateurs, explique-t-on au ministère. En 2023, nous avons mis en place un groupe de travail dont les recommandations ont conduit à plusieurs propositions d'amélioration. Certaines sont d'ailleurs intégrées dans le texte de loi. »
La révision du périmètre d'application des réglementations autour des monuments est notamment à l'étude, tout comme les critiques concernant le manque de présence sur le terrain et le manque de concertation avec les différents acteurs concernés. La ministre de la Culture, Rachida Dati, a annoncé que chaque département disposerait d'au moins deux ABF, contre un seul actuellement dans 30% des territoires. Toutefois, ce renforcement des effectifs reste à concrétiser. « Certains territoires sont à feu et à sang, s'indigne Pierre-Jean Verzelen. Les ABF y sont perçus comme de simples signatures au bas de courriers administratifs, sans visage ni dialogue. Cette distance, vécue comme un mépris social, doit cesser. »