A une semaine de l'annonce des orientations budgétaires pour 2026, peu de détails ont filtré des lignes directrices du gouvernement, dépourvu de majorité au Parlement, mais en quête de dizaines de milliards d'euros d'économies. L'hypothèse d'une année blanche fait partie des pistes sur la table, ont affirmé plusieurs membres du gouvernement, sans toutefois en détailler les contours.

Les avis diffèrent sur les gains possibles d'une année blanche, qui « peut prendre des formes très variées », témoigne auprès de l'AFP l'expert en finances publiques François Ecalle. L'opposition politique pointe d'ores et déjà d'éventuels effets récessifs, en particulier sur les ménages modestes, tandis que le taux de pauvreté a atteint un niveau record en France, jamais vu depuis au moins 30 ans, selon un rapport de l'Insee publié cette semaine.

Qu'est-ce qu'une « année blanche » fiscale ?

Elle consisterait à bloquer à leur niveau de 2025 les dépenses publiques pour les reconduire à l'identique en 2026, qu'il s'agisse de celles indexées sur l'inflation, voire d'aller plus loin, en imaginant d'élargir le périmètre concerné.

Habituellement, certaines dépenses sont automatiquement réévaluées d'une année sur l'autre afin de tenir compte de la hausse des prix : pensions de retraites du régime général, prestations sociales, comme les allocations logement, l'allocation adultes handicapés...

Sur les 1 670 milliards d'euros de dépenses publiques en 2024 selon l'Institut national de la statistique (Insee), entre 400 et 500 milliards d'euros de dépenses sont indexées sur l'inflation, estime François Ecalle, principalement les régimes de retraite.

Une « année blanche » pourrait aller encore plus loin, détaille l'ancien haut-fonctionnaire, et concerner d'autres dépenses comme les revalorisations tarifaires des professionnels de santé, les avancements de carrière automatiques des fonctionnaires... Il pourrait s'agir d'un gel du barème de l'impôt sur le revenu (IR) ou de la contribution sociale généralisée (CSG), réévalués en fonction de l'inflation.

Dans le passé, certaines dépenses ont déjà été bloquées dans certains secteurs, mais « une année blanche générale, il n'y en a jamais eu », assure François Ecalle.

Pour faire quelles économies ?

Tout dépend du périmètre. L'Institut des politiques publiques (IPP) et l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ont récemment partagé des estimations proches selon lesquelles une année blanche permettrait d'économiser entre 5,7 et 6 milliards d'euros environ. Selon l'OFCE, qui s'est focalisé sur les transferts monétaires aux ménages, le gel de l'ensemble des prestations sociales indexées (dont les retraites et le chômage) rapporterait 5 milliards d'euros, et 1,2 milliard d'euros de plus grâce au gel du barème de l'impôt sur le revenu (IR).

François Ecalle souligne toutefois l'extrême difficulté d'un quelconque chiffrage sans en connaître le périmètre. En tenant compte de l'inflation, la fourchette d'économies peut varier « de 3 milliards d'euros si vous vous contentez des retraites de base », à « 15 milliards d'euros si vous faites ça sur tout », précise-t-il. Et si l'on touche au barème de l'impôt sur le revenu, des économies encore supérieures.

Avec quelles conséquences ?

Avec un gel de l'ensemble des prestations sociales, des pensions de retraites, de l'allocation chômage, du barème de l'IR, « en pourcentage du niveau de vie, ceux qui vont payer le plus sont les ménages les plus pauvres », détaille à l'AFP Pierre Madec, économiste à l'OFCE et auteur de l'étude sur les effets de l'année blanche. Mais cette hypothèse paraît hautement improbable vu son coût politique.

« Ça ressemblerait beaucoup à la loi spéciale », un texte budgétaire voté dans la contrainte de l'urgence fin 2024 après la chute du gouvernement de Michel Barnier et qui reconduisait les dépenses essentielles en l'absence de budget, fait remarquer Pierre Madec. « La différence, c'est qu'on serait [cette fois-ci] sur une année blanche assumée, dans un objectif de réduction de la dépense publique », ajoute-t-il.

Et l'hypothèse d'un gel du barème de l'IR, autrement dit l'absence de revalorisation des tranches pour protéger les contribuables de l'inflation, conduirait immanquablement à ce que certains ménages paient plus d'impôts et que d'autres qui n'étaient pas imposables le deviennent, relève François Ecalle. Cela reviendrait à augmenter les impôts, une ligne rouge fixée par plusieurs partis, notamment LR et le Rassemblement national (RN).