- La piste la plus probable
Plusieurs solutions existent en théorie pour résoudre l'impasse budgétaire : recourir à l'article 49.3 pour imposer un budget (ce qu'exclut le gouvernement); choisir la piste de l'ordonnance, c'est-à-dire un texte qui permet à l'exécutif d'imposer des mesures sans passer par le Parlement (ce qui n'a jamais été fait pour le budget); passer par l'adoption d'une « loi spéciale », sorte de reconduction du budget 2025 qui permettrait de percevoir les impôts existants avant de reprendre les débats parlementaires en début d'année.
Cette dernière hypothèse est la « plus probable », a estimé samedi matin sur France 2 le président de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, Eric Coquerel.
Le Premier ministre Sébastien Lecornu a dit vendredi que ce n'était « pas la solution » mais c'est le scénario privilégié par plusieurs cadres du camp gouvernemental. L'exécutif semble préférer cette option à celle d'une adoption par ordonnance, tout en affirmant que son objectif est toujours de passer par un vote.
Un projet de loi spéciale devrait en théorie être présenté avant le 19 décembre.
- Qu'est-ce qu'une loi spéciale ?
Une loi spéciale doit permettre à l'appareil d'Etat de fonctionner en l'absence de budget voté et promulgué avant le 1er janvier.
Elle l'autorise à percevoir les impôts existants, sans nouvelles mesures fiscales, et s'accompagne d'un décret limitant les dépenses aux services votés l'année précédente jugés indispensables pour poursuivre l'exercice des services publics.
Une loi spéciale ne dispense pas de la poursuite des débats pour adopter un budget en bonne et due forme début 2026.
- Des précédents
Le recours à une loi de finances spéciale est rare, mais cet outil législatif a déjà été utilisé sous la Ve République, contrairement aux ordonnances.
L'adoption d'une loi spéciale ne présente normalement pas de difficulté particulière, car elle ne revêt pas de réel caractère politique.
En décembre 2024, le Parlement avait voté une telle loi après la chute du gouvernement Barnier. Un budget 2025 avait finalement été adopté mi-février.
Auparavant, le gouvernement avait dû y recourir en 1979, après censure du budget pour 1980 par le Conseil constitutionnel.
Et en 1962, des élections législatives anticipées en novembre avaient rendu impossible l'adoption d'un budget dans son intégralité avant la fin de l'année. Le nouveau gouvernement avait alors procédé en deux temps : le vote sur la partie recettes fin décembre, puis sur les dépenses en février 1963.
- Quel impact pour l'économie ?
Selon le ministère des Comptes publics, l'entrée en vigueur d'une loi spéciale au 1er janvier coûterait 11 milliards d'euros à l'économie française.
Cet impact serait « immédiat »: 3 milliards d'euros de recettes en moins en raison d'une croissance économique réduite de 0,2 point du fait d'une incertitude accrue; et 8 milliards d'euros de mesures d'économies qui ne se feraient pas par rapport au projet de budget initial.
De quoi compliquer la trajectoire de la France pour réduire son lourd déficit public, sous l'œil critique des grandes agences de notation dont S&P et Fitch qui ont récemment dégradé sa note souveraine.
Le gouvernement Lecornu souhaite réduire le déficit à 4,7% du produit intérieur brut en 2026, après 5,4% en 2025.
Une loi spéciale affecterait des dizaines de milliers de ménages, qui seraient désormais assujettis à l'impôt sur le revenu ou qui en paieraient davantage, car une telle loi ne permettrait pas de relever le barème de l'impôt sur le revenu pour tenir compte de l'inflation.
En 2024, le Conseil d'Etat s'était prononcé contre la prise en compte d'une indexation dans la loi spéciale, mais la constitutionnalité d'une telle mesure avait été vivement débattue parmi les députés. Cela n'empêcherait pas d'inclure éventuellement une indexation du barème ultérieurement dans le budget définitif.
- Pas de paralysie
Contrairement aux Etats-Unis, une loi spéciale permet d'éviter une paralysie budgétaire à l'américaine : les fonctionnaires sont payés, les retraites versées, les soins remboursés.
Aux Etats-Unis, ce « shutdown » a paralysé l'administration fédérale pendant 43 jours, du 1er octobre au 12 novembre, le plus long de l'histoire du pays, affectant une partie des services publics.
La France n'est pas le seul pays européen aux prises avec un casse-tête budgétaire. En Espagne, le gouvernement du Premier ministre Pedro Sánchez fonctionne encore aujourd'hui avec le budget de 2023, car il n'a pas réussi à obtenir l'approbation d'un nouveau cadre fiscal depuis. Pour 2026, l'adoption d'un budget reste très hypothétique en l'absence de majorité gouvernementale au Parlement.


























