« Pensez-vous que la banque devrait être un service public gratuit, comme l'école ou la santé ? » C'est la question posée par notre partenaire YouGov France, à plus de 1 000 Français de 18 ans et plus (1). Le verdict est surprenant : une large majorité (67% précisément) répond oui. Un chiffre stable par rapport à la précédente vague de notre sondage, réalisée en 2021.
Imaginerait-on les Français réclamer que leurs supermarchés soient intégrés au service public ? Comme la grande distribution, la banque est bien une activité marchande, tenue par des entreprises privées conçues pour faire des profits. Notre sondage le montre : elle conserve pourtant, pour une large part de l'opinion, un statut de quasi-service public, porteuse de missions d'intérêt général.
Un service public de fait jusqu'aux années 1990
Cette perception ne doit rien au hasard : elle est le fruit de l'histoire. Longtemps, les principales banques françaises ont été, de fait, des entreprises publiques, nationalisées après la fin de Seconde Guerre mondiale pour participer à la reconstruction du pays et de son économie. Elles n'ont regagné le secteur privé qu'à partir de 1987, quand le gouvernement de Jacques Chirac, à l'époque Premier ministre en cohabitation avec François Mitterrand, a entamé un cycle de privatisations qui durera une quinzaine d'années. Dès 1987, Paribas, le Crédit commercial de France (CCF) et la Société générale (SG) sortent du giron de l'État. Puis c'est le tour de la BNP en 1993, du CIC en 1998, du Crédit lyonnais en 1999...
Entre ces deux dates, la banque est entrée dans le quotidien des Français. Alors que seulement 18% d'entre eux détenaient un compte de dépôt en 1966, ils étaient 86% dix ans plus tard. Cette bancarisation massive s'est déroulée dans un contexte où il n'y avait pas, ou peu, de concurrence entre les enseignes et où l'accès au compte était quasiment gratuit. « Jusqu'aux années 1980, la banque a été, de fait, un service public et cet imaginaire persiste », explique la sociologue Jeanne Lazarus, spécialiste des banques et des pratiques de l'argent. « Le banquier conserve d'ailleurs de nombreuses similitudes avec le fonctionnaire, à commencer par ses grilles salariales calquées sur celles de la fonction publique. »
L'accès au compte, une mission d'intérêt général
Le tournant commercial pris par la banque de détail dans les années 1990 n'a pas changé fondamentalement cette vision. Aux yeux des usagers, les banques restent dépositaires de missions d'intérêt général : l'accès au compte, indispensable pour percevoir son salaire ; l'accès aux espèces, via les réseaux d'agences et de distributeurs automatiques...
Les liens avec la puissance publique, de plus, persistent. L'État n'hésite pas à faire pression pour corriger certains excès. Dès le début des années 1980, il met en place un droit au compte, qui lui permet d'imposer à une banque d'accueillir un client, même si son profil ne lui convient pas. Puis, au cours des années 2010, il intervient également pour demander aux banques de modérer leurs appétits tarifaires, notamment pour les frais d'incident.
Le cas particulier de La Banque Postale
En France, une banque est encore détenue sur des fonds publics : La Banque Postale, filiale à 100% de La Poste, elle-même détenue à 66% par la Caisse des dépôts et à 34% par l'État. Cette particularité lui confère une place particulière dans le paysage bancaire français. Elle assume notamment, avec de plus en plus de difficultés, une mission d'accessibilité bancaire, en fournissant gratuitement à toute personne en faisant la demande un Livret A aux caractéristiques particulières. Il permet à ses titulaires de recevoir des virements (salaires, prestations sociales), de domicilier des prélèvements et d'éditer des chèques de banque.
Un rôle durablement ambigu
La question des frais bancaires est un bon exemple de l'ambiguïté du rôle des banques, entre service d'intérêt général et commerce. Lorsque ces frais commencent d'augmenter et à se multiplier, dans les années 1990, les consommateurs, et les associations qui les représentent, se rebiffent : est-il normal de payer de plus en plus cher pour disposer d'un compte bancaire dont la détention a été rendue quasi obligatoire par les pouvoirs publics ?
Ce sentiment d'injustice est encore présent dans l'esprit des Français et reste une source majeure de tension avec leurs banquiers. D'autant que les frais bancaires pèsent de façon très inégalitaire sur les ménages. D'un côté, les ménages aisés y échappent en grande partie, grâce au pouvoir de négociation et de mise en concurrence dont ils disposent ; de l'autre, les ménages modestes subissent de plein fouet les frais bancaires punitifs liés aux incidents de paiement.
Certains ont ainsi prospéré sur ce traitement perçu comme injuste. La faiblesse des frais facturés reste le premier argument poussant les usagers vers des marques comme BoursoBank, Fortuneo ou encore Nickel.
Banque en ligne : le comparatif des offres
Pour un service public bancaire ?
L'idée d'un retour à un secteur public bancaire, à destination notamment des plus fragiles, n'est pas éteinte. Elle est, par exemple, régulièrement présente dans les programmes de la France Insoumise, qui appelle de ses vœux la formation d'un « pôle public bancaire », en charge d'assurer un accès démocratique au crédit et aux services bancaires, à travers le maintien des réseaux d'agence de proximité et de la gratuité du compte bancaire pour les usagers en dessous du seuil de pauvreté.
Bien qu'elle semble en ligne avec l'opinion des Français, cette proposition rencontre peu d'écho. Même les associations de consommateurs ne vont pas aussi loin, se contentant de demander à la puissance publique de tordre le bras des banques si nécessaire. Est-elle réaliste ? « Si on parle de l'accès aux moyens de paiement, pourquoi pas », conclut la sociologue Jeanne Lazarus. (...) « Pour le crédit et les placements, en revanche, cela paraît plus compliqué. Un service public du crédit, par exemple, serait très difficile à imaginer. »
(1) L'enquête a été réalisée sur 1 022 personnes représentatives de la population nationale française âgée de 18 ans et plus. Sondage effectué en ligne, sur le panel propriétaire YouGov France, du 19 au 20 août 2024.