Augmenter la fiscalité des plus fortunés était l'un des gages avancé par le gouvernement pour s'assurer la clémence des socialistes et tenter d'éviter une chute prématurée. La revendication de la gauche d'une contribution accrue des hauts patrimoines s'était cristallisée ces dernières semaines autour de la mise en œuvre de la taxe Zucman, du nom de l'économiste qui l'a théorisée et popularisée, Gabriel Zucman.

Mais c'est une autre voie que Sébastien Lecornu a finalement retenu. Il propose de taxer à 2% certaines holdings, des sociétés qui détiennent des participations dans d'autres entreprises. Elles bénéficient aujourd'hui d'un régime fiscal favorable, avec par exemple une exonération quasi-intégrale des dividendes versés par leurs filiales, ou des avantages en matière de transmission du patrimoine.

Le gouvernement vise les sociétés qui contournent l'impôt en conservant en leur sein des « revenus non distribués », comme des biens privés, de l'immobilier, des actions, qui « ne sont pas des investissements productifs », a précisé la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin.

La mesure annoncée visera uniquement les structures d'une valeur supérieure à 5 millions d'euros et, surtout, le gouvernement a pris soin d'exclure les biens professionnels de l'assiette de la taxe.

C'est l'une des principales différences avec la proposition de Gabriel Zucman qui demande un impôt plancher visant les 0,01% des contribuables les plus riches en France (1.800 contribuables), et porte sur l'ensemble du patrimoine pour s'assurer qu'ils paient au moins 2% de leur fortune en impôts.

Cette nuance de taille se reflète dans le montant des rendements escomptés. Avec sa taxe, le gouvernement entend récupérer 1 milliard d'euros, quand la taxe Zucman pourrait rapporter de 15 à 20 milliards d'euros, selon un chiffrage contesté par certains économistes.

10 000 contribuables ciblés

La taxe sur les holdings, qui devrait toucher 10 000 contribuables selon Bercy, comporte de « multiples exonérations » qui sont autant de « niches béantes » susceptibles d'enclencher la « machine à optimisation », dénonce Gabriel Zucman, joint par l'AFP.

La taxe Zucman a été « complètement vidée » de sa substance, abonde le président de la commission des Finances de l'Assemblée, Eric Coquerel, tandis que le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, a promis mardi que les socialistes tenteraient de la réintroduire par amendement pendant la discussion budgétaire.

Biens professionnels

L'exclusion des biens professionnels et l'assiette de la taxe, jugée « minimaliste » par ses détracteurs, devraient nourrir les débats parlementaires.

Selon l'Insee, le patrimoine professionnel des 10% les plus riches (au minimum 607.700 euros d'actifs) représente près de 20% de leur patrimoine total. Quant aux 1% des plus riches (qui possèdent plus de 1,94 million d'euros d'actifs), plus du quart de leur fortune (28%) est constituée de leur patrimoine professionnel.

« La France a une particularité (...), elle exclut les biens professionnels depuis l'impôt sur la fortune (ISF) en 1981 » pour calculer le patrimoine d'un contribuable, et « tant qu'on ne corrige pas cette situation, on a les faits qu'on connait : les milliardaires de ce pays sont taxés à 25% quand la plupart des contribuables paient environ 50% », assure Eric Coquerel.

Autre point clé, les titres de participations dans des sociétés logées dans ces holdings sont exclus de l'assiette.

Or, l'essentiel de la fortune des milliardaires détenue dans ces holdings correspond à des titres de participations, affirme Gabriel Zucman. « 90% en moyenne de la fortune de Bernard Arnault, ce sont des actions LVMH », pointe-t-il.

Le récent prix Nobel d'économie, Philippe Aghion, a lui mis en garde contre une volonté de taxer l'outil de travail, pointant le risque que la France manque « la révolution de l'intelligence artificielle ».

Et l'assiette prévue est « plus large que la simple trésorerie excédentaire », nuance Frédéric Subra, avocat fiscaliste chez Delsol Avocats.

Elle intègre notamment « les actifs immobiliers non professionnels » ou certains « investissements qui ne génèrent pas de liquidités immédiate », notamment les fonds non cotés, détaille-t-il, relayant certaines inquiétudes de ses clients.