Le chiffre paraît étonnant. Fin 2023, seuls 6% des virements étaient effectués en instantané, selon les chiffres de la Banque de France. En 5 ans, depuis son lancement en 2018, ce nouveau moyen de paiement n'avait donc réussi qu'une percée mineure, malgré ces atouts incontestables par rapport au virement SEPA standard : sa disponibilité 24 heures sur 24 et 365 jours par an, et son délai de traitement ramené à moins de 10 secondes, contre 24 heures au moins.
La raison de cette confidentialité est bien connue. Au moment d'intégrer le virement instantané à leur offre, la majorité des banques françaises a choisi de le faire payer, autour d'un euro pièce en moyenne. Résultat : dans la majorité des cas, le jeu n'en valait pas la chandelle pour les usagers. Hors cas d'urgence, pourquoi payer lorsque que le virement classique est gratuit ?
Le rapport de force est en passe de changer. Depuis jeudi 9 janvier, un règlement européen interdit aux banques de différencier la facturation des virements, qu'ils sont instantanés ou non. Dans les faits, la plupart ont choisi de renoncer à faire payer le virement instantané lorsqu'il est émis en ligne, comme c'était le cas pour le virement standard.
Avec cette évolution, la part de marché de l'instantané devrait grimper en flèche. Un sondage, réalisé par YouGov France pour MoneyVox, indique que 73% des personnes interrogées préfèreront le virement instantané au virement standard si les deux sont gratuits. Un chiffre qui se confirme sur le terrain. Chez BoursoBank par exemple, 81% des virements émis étaient instantanés au quatrième trimestre 2024. La banque en ligne fait partie des (rares) acteurs qui n'ont jamais fait payer l'instantanéité.
Fin du chèque, sécurité... Ce que change le virement instantané gratuit dans la vie des Français
Le virement classique en sursis ?
Avec de tels chiffres, les établissements pourraient-ils être tentés de « débrancher » le virement classique ? Ce n'est pas à l'ordre du jour : interrogées sur le sujet, les principales banques de la place affirment leur volonté de laisser le choix au client. Certaines, comme LCL, Monabanq ou Société Générale, maintiendront même le virement classique comme choix par défaut.
Mais pour combien de temps ? « Laisser le choix aux clients impose aux banques de maintenir deux systèmes de paiement distincts, ce qui représente des coûts de maintenance supplémentaires », indique Hamza Messabhia, Senior Director, Strategic Solution Consulting, Payments chez Finastra, une société spécialisée dans l'édition de logiciels pour le secteur financier.
A terme, elles pourraient donc être tentées de conserver seulement le « nouveau » virement instantané. Mais ce n'est sans doute pas pour demain. « Il faudra en passer, je pense, par une décision à l'échelle européenne, et cela va prendre quelques années », anticipe Hamza Messabhia.
Le coup de grâce pour le chèque
Le virement instantané, toutefois, est bien plus qu'une version modernisée du « vieux » virement SEPA. Son fonctionnement en temps réel et 24 heures sur 24, 365 jours par an en fait un moyen de paiement aux usages potentiellement beaucoup plus larges, et donc un concurrent pour les autres manières de payer.
Le chèque, déjà très affaibli (moins de 3% des paiements hors cash en 2023), pourrait être le premier à en faire les frais. Le virement instantané gratuit est en mesure de le concurrencer sur ses derniers cas d'usage : les remboursements entre proches, les règlements de factures, les achats de biens ou services très coûteux... Déjà dans le collimateur des banques (pour son coût de traitement) et des pouvoirs publics (pour sa fragilité face à la fraude), le chèque, exception française (87% des chèques échangés en Europe sont français), pourrait ainsi ne pas survivre à l'émergence du virement instantané. Il reste pourtant utile pour certains usagers, peu à l'aise avec le numérique et/ou financièrement fragiles.
Les espèces, elles, semblent à l'abri : ce n'est sans doute pas demain qu'on achètera une baguette ou un café par virement instantané. Ce dernier dispose toutefois de deux caractéristiques, l'immédiateté et l'irrévocabilité (le paiement validé ne peut pas être annulé, modifié ou révoqué), qui le pose comme une alternative crédible au cash dans un cas de figure au moins, les échanges d'argent entre particuliers, par exemple pour donner de l'argent à des enfants ou dans le cadre d'une vente d'un bien de seconde main.
L'IBAN, point faible du virement
Instantané ou non, le virement conserve un gros point faible : avant de payer un nouveau bénéficiaire, il faut l'enregistrer. Une opération fastidieuse, en raison de la longueur de l'IBAN, l'identifiant utilisé pour désigner le compte : de 15 à 34 caractères selon le pays, 27 en France. « Personne ne connaît son IBAN par cœur », résume Guillaume Yribarren, en charge du conseil en stratégie de paiement chez Galitt.
Il existe pourtant une parade. Son nom : l'initiation de paiement. Soit la possibilité d'autoriser un tiers à se connecter à votre banque pour transférer de l'argent de votre compte vers le sien. Plus besoin de renseigner, ni même de connaître l'IBAN du payé : il suffit de valider le paiement.
Cette technologie n'est pas nouvelle : elle a été autorisée par une directive européenne, entrée en vigueur en 2018 en France, la même qui a imposé le recours à une authentification forte pour protéger certaines opérations sensibles. Mais le choix des banques de faire payer le virement instantané a été un frein à son développement. Pourquoi payer un euro de frais lorsque d'autres moyens de paiement sont gratuits ?
Le virement moins cher que la carte pour les commerçants
Ici, la gratuité change tout. L'initiation de paiement instantanée pourrait même devenir une alternative crédible à la carte bancaire. D'abord pour les paiements sur internet, où elle propose une expérience plus fluide, puisqu'aucune saisie de numéro n'est nécessaire. Elle permet également de s'affranchir des limites de plafonds des cartes bancaires. Ce n'est pas un hasard, d'ailleurs, si les premiers commerçants à s'intéresser à l'initiation de paiement sont ceux qui affichent les paniers les plus élevés, les vendeurs de voyages par exemple.
La carte bancaire sera évidemment plus difficile à détrôner pour les paiements en magasins physiques. Mais l'initiation de paiement instantané a le potentiel pour s'y faire une place, grâce par exemple à l'utilisation d'un QR Code affiché sur la caisse du vendeur et qui, une fois scanné avec un smartphone, initie le virement. C'est ainsi l'expérience de paiement promise par Wero, le portefeuille de paiement mobile lancée en 2024 par un consortium de banques françaises, allemandes et belges, et qui s'appuie sur le virement instantané.
Les commerçants, eux, devraient être intéressés. Comme la carte bancaire, le virement instantané leur offre la garantie d'être payé. Mais il leur permet aussi d'encaisser l'argent immédiatement, alors qu'il faut attendre quelques jours avec un paiement par carte bancaire. Et, surtout, de s'affranchir des frais, de plus en plus élevés, facturés par les réseaux d'acceptation des cartes bancaires.
Carte bancaire gratuite ou pas chère : les meilleures offres