Les 4 et 19 octobre 1945, deux ordonnances fixent les principes fondateurs d'un système pour financer les dépenses de santé des travailleurs, leur retraite et une aide à l'arrivée d'enfants. Rédigées sous la direction du haut-fonctionnaire Pierre Laroque après un accord entre gaullistes et communistes, les ordonnances sont progressivement mises en œuvre dans les mois suivant, sous la houlette du ministre communiste du travail Ambroise Croizat, avec le soutien déterminant de la CGT.

Pour la première fois, la France se dote d'une institution de protection sociale unique, distincte de l'Etat, et qui se finance par le travail. Elle repose sur un réseau de caisses départementales administrées par des représentants des travailleurs.

Quatre-vingts ans plus tard, la « Sécu » - avec sa galaxie de branches, caisses et organismes - a apporté d'immenses progrès dans la protection contre les risques de la vie. « C'est une des promesses de la Libération qui a réussi », résume Gilles Nezosi, co-auteur de « La protection sociale », ouvrage de référence sur le sujet.

« Hors de contrôle »

Signe de son importance sociétale, ses dépenses dépassent celle de l'Etat au sens strict, avec 642,9 milliards d'euros en 2024, contre 480 milliards d'euros. Elles représentent aujourd'hui environ le quart du PIB français. Mais une fois de plus, comme souvent dans une histoire qui n'a rien d'un long fleuve tranquille, se pose la question du financement de ses dépenses.

En mai 2025, la Cour des comptes a évoqué une « trajectoire hors de contrôle » pour les comptes de la Sécu : un déficit prévu à 22 milliards d'euros cette année, se creusant à 24 milliards à l'horizon 2028. « Il y a des défis très importants sur la durabilité du système, donc sur sa transmission aux générations futures », avertit Dominique Libault, directeur de l'école des cadres de la Sécu, et président du Haut comité sur le financement de la protection sociale (HCFiPS).

Principale source d'inquiétude aujourd'hui : l'assurance maladie. Avec une augmentation naturelle des dépenses de 4% chaque année, son déficit pourrait atteindre 41 milliards d'euros d'ici 2030 si rien n'est fait, selon les calculs de la Caisse nationale d'assurance maladie.

Les décisions des récents gouvernements ont alimenté cette plongée dans le rouge, reconnaissent tous les experts. Ainsi le Ségur de la Santé - l'effort de revalorisation des salaires des soignants pendant la crise sanitaire décidé par le gouvernement - n'a pas été financé par des recettes équivalentes, alourdissant d'entre 11 et 13 milliards d'euros les dépenses de l'Assurance maladie.

L'État, par ailleurs, ne compense pas totalement les quelque 80 milliards d'exonérations de cotisations sociales qu'il a accordées aux entreprises, avec un manque à gagner qui pourrait atteindre selon la Cour des comptes jusqu'à 5,5 milliards d'euros.

« 1,2 actif pour un 1 retraité »

Mais, même si l'Etat décidait d'apporter ces recettes supplémentaires, elles ne suffiraient pas à rétablir l'équilibre, du fait notamment du vieillissement de la population. « En 1950, il y avait cinq actifs pour un retraité, aujourd'hui moins de deux pour un et en 2050, ce devrait être 1,2 actif pour un retraité », rappelle Eric Chenut, président de la Mutualité de France, dans un livre publié pour les 80 ans de la Sécu, « Sauver notre modèle de protection sociale ». Et « les dépenses de santé moyennes d'une personne de quatre-vingts à quatre-vingt-cinq ans sont plus de quatre fois supérieures à celles d'une personne entre trente et cinquante ans », explique-t-il.

« Le nombre de personnes de plus de quatre-vingts ans devant tripler d'ici 2050, il est essentiel de l'anticiper ».

Entre augmentation des cotisations et des impôts, et coups de freins sur les dépenses, les défis s'annoncent toujours plus délicats - et impopulaires - pour les prochains gouvernements.

En juillet, un rapport commandé par l'ex-Premier ministre François Bayrou au HCFiPS jugeait inévitable une hausse des impôts et taxes pour continuer à faire vivre la Sécu. « Des évolutions de CSG, l'augmentation du prélèvement sur le patrimoine, les travaux sur les niches sociales et les taxes comportementales sont apparues comme des hypothèses plus consensuelles en matière de recettes », indiquait-t-il.