L'essentiel
- Les fonds euros dits « dynamiques » affichaient des performances élevées grâce à la diversification. Cependant, la crise immobilière et la complexité des mouvements sur les marchés financiers ont amoindri leurs rendements.
- Les fonds « à coussin » ont été difficiles à gérer et ont perdu de leur attractivité. Les fonds immobiliers ont également connu une baisse importante, notamment à cause de mauvaises gestions des collectes.
- La remontée récente des taux et des performances a relancé l'intérêt pour certains fonds web. Néanmoins, il reste à voir si cette tendance se maintiendra dans le temps.
Euro Allocation Long Terme, Sécurité Pierre Euro, €urocit', Netissima... Si vous vous intéressez à l'assurance vie, ces noms vous diront sans doute quelque chose. Et pour cause : au cours de la précédente décennie, ces fonds euros dits « dynamiques » étaient les stars du marché.
Trustant les premières places des classements, ils affichaient des performances dépassant largement l'inflation et le Livret A. « Ils ont eu du succès, car leurs rendements étaient élevés dans une période où les taux baissaient », se souvient Philippe Crevel, économiste et directeur du Cercle de l'Épargne, think tank spécialiste des sujets financiers.
Leur recette « miracle » : la diversification. Alors que l'approche traditionnelle était de composer un fonds à base d'obligations, notamment françaises, les gestionnaires ont choisi d'intégrer une « poche » d'investissements variés (actions, immobilier...), dans le but de doper la performance.
Certains sont même allés plus loin en limitant fortement la base obligataire au profit d'autres véhicules. « Ces fonds étaient plus petits, donc plus mobiles que les actifs traditionnels, analyse l'économiste. Les poches ont pu avoir un effet immédiat sur le résultat. »
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Un triple choc
L'expert parle au passé... Car les temps semblent changer. Les « pépites » ont connu un triple choc. « Ceux qui étaient investis dans l'immobilier ont dû supporter la crise », rappelle Philippe Crevel. Les gestionnaires ciblaient en effet beaucoup les titres de pierre-papier (SCPI, SCI...) notamment ceux investis dans les immeubles de bureaux franciliens. Sauf que ce marché a chuté depuis 2020.
Dans le même temps, les bourses sont devenues « plus complexes » et heurtées depuis la crise sanitaire. Les plus-values sont possibles, mais moins prévisibles. Pas facile, pour un outil à viser long terme, de réagir aux tendances.
La troisième lame, c'est le choc obligataire. Ayant collecté beaucoup de capitaux dans les années 2015-2020, les gestionnaires ont investi dans des obligations de l'époque, rémunérées... entre 0 et 1%. Forcément, quand les taux sont remontés brutalement en 2022, ce stock de coupons a perdu tout intérêt face à de nouvelles obligations à plus de 4%.
Coup après coup, la philosophie des années 2010 a été chamboulée. « Les anciens fonds dynamiques, c'est plus trop ça », ose Philippe Crevel. Faut-il pour autant enterrer l'intégralité des stars de 2015 ? La réponse est plus nuancée.
Fonds « à coussin » : des précurseurs dépassés
En 2010-2015, c'était l'eldorado. Distribués massivement par les conseillers en gestion de patrimoine, les fonds euros à coussin proposaient une approche innovante. Le principe : à côté du portefeuille obligataire, une poche « actions » est investie sur les marchés au 1er janvier de chaque année. Et le 31 décembre, la performance est constatée.
Si les choix sont payants, le rendement décolle. Dans le cas contraire, le fonds rémunère quelques points de base, voire 0. Sur le papier, la hausse régulière des bourses rendait le produit séduisant. Entre 2010 et 2015, de grands noms comme €urocit', EuroConvition, EuroSélection ou Elixence ont offert régulièrement des taux canons, pouvant atteindre 5%.
Mais à partir de 2016 ou 2018, les baisses ont été substantielles, les taux navigants selon les actifs et les années entre 0 et 2%. Et même si la bonne tenue récente des actions a pu leur redonner quelques couleurs, les secousses de 2025 risquent à nouveau de froisser les oreillers !
« C'est un peu la roulette russe ! »
« Les fonds à coussin ont généré pas mal de déceptions, car ils sont compliqués à gérer », souligne Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du site Good Value for Money. Il estime ainsi que les marchés financiers étant souvent volatils, les années « difficiles » peuvent être fréquentes. « Quand on voit des phénomènes du type conflit au Moyen-Orient, on ne sait pas l'impact que cela aura. Quel pari aurait été pertinent en ce début d'année ? C'est un peu la roulette russe ! » Et quand cela ne marche pas, le zéro pointé a quelque chose de brutal.
Un autre acteur de la place, qui préfère rester anonyme, va plus loin : « Ces trucs à coussin, ce n'est pas intéressant ! » Ce spécialiste prend le cas de Sécurité Target euro. S'il a su livrer entre 2 et 4 certaines années, sa performance a été de 0 en 2018, 2020 et 2022... « Mieux vaut être déçu deux ans à 1,70% que de faire 3,4% puis 0 ! » La plupart de ces fonds n'étant plus commercialisés, il ne reste plus qu'à compter sur les gestionnaires. Ou après tout, si l'on se sent de jouer en bourse, de le faire en direct ! On y perdra parfois beaucoup, mais on y gagnera également parfois beaucoup !
Fonds « immobiliers » : la gifle
« Pour les épargnants, c'est la douche froide ! » Comme le regrette Philippe Crevel, les fonds à dominante immobilière ont perdu de leur prestige. Le symbole, c'est sans doute le contrat Sérénipierre et son fonds euros majoritairement immobilier Sécurité Pierre Euro. Au firmament autour de 2015 en dépassant les 4%, il flotte depuis quelques années, autour de 2. En 2023, l'impensable s'est même produit : un rendement de... 0 !
« Les gestionnaires disaient il y a quelques années que c'était temporaire », pointe le directeur du Cercle de l'Épargne. L'erreur à ses yeux : « surpondérer l'exposition » aux bureaux de périphéries urbaines. Forcément, l'amertume est de mise du côté des clients. « Les investisseurs de ce fonds sont plutôt âgés. Maintenant, ils constatent qu'ils n'ont plus les rendements... Et que leur patrimoine a fondu. »
Car pour accéder à cette enveloppe « premium » assurée par Suravenir, Primonial a imposé une part progressive d'unités de compte. Les revendeurs suivaient alors l'esprit « immobilier » du produit, en préconisant des UC « pierre-papier ». Notamment un paquebot : la SCI Capimmo.
Même motif, même punition : la SCI ayant un positionnement similaire à « Sécurité Pierre » (immeubles et SCPI de bureaux...), sa valorisation a chuté de plus de 22% ces 36 derniers mois. « C'est une forte moins-value difficile à accepter », souligne Philippe Crevel.
Anciens joyaux de Spirica, l'assureur en ligne du Crédit Agricole, les deux jumeaux Euro Allocation Long Terme (ALT) 1 et 2 sont également très investis dans « l'immo » professionnel. Avec la crise, eux aussi sont sans surprise en difficulté. De 3 voire 3,5% annuels fin 2010, ils peinent désormais à tenir les 2%. Un chiffre résume la situation : la performance cumulée des trois dernières années est inférieure à 6%... alors même que les meilleurs fonds ont livré plus de 3 l'an passé !
La dynamique est équivalente, mais plus nuancée, pour EuroPierre. Le fonds, encore présent dans notre Top 10 de 2016, était parti très fort, avec plus de 60% de gain entre 2004 et 2014. Le décrochage a eu lieu sur les 10 dernières années, avec à peine 25% de rendement cumulé. Toute fois, il semble s'accrocher aux branches, en affichant 2,6% en 2023 et 2024.
« Les gestionnaires ont mal piloté les collectes »
Malgré tout, notre asset manager anonyme a un avis tranché sur le sujet. « Les gestionnaires ont mal piloté les collectes. À un moment, ils ont acheté avec l'afflux de capitaux des immeubles dans des zones moyennes offrant moins de 3%. Un gérant normal n'y serait pas allé : ce rendement est trop faible ! » Il regrette que les véhicules n'aient pas été « fermés à l'investissement » plus tôt. « Encadrer la collecte aurait permis de préserver la performance. On n'en serait pas là aujourd'hui ! »
De toute façon, il n'y a plus de sujet, car les grands fonds immobiliers ne sont plus commercialisés. Dommage, pour Cyrille Chartier-Kastler : il sera impossible de se retourner, par exemple en investissant dans « les nouvelles SCPI diversifiées à l'échelle européenne, qui se portent bien ». Le spécialiste de Good Value for Money n'est donc pas optimiste pour la suite.
Fonds web : un rebond possible ?
Suravenir Opportunités, Netissima, Euroflex, NeoEuro garanti... Les fonds « à poche diversifiée » du web sont un peu « rentrés dans le rang ». Se challengeant pour le Top 10, ils ont depuis connu des baisses nettes, voire vertigineuses. Comment l'expliquer ?
« Depuis maintenant une dizaine d'années, certains fonds ont fait le choix de décrocher en termes de taux servis. »
Cyrille Chartier-Kastler suggère que ce n'est pas forcément accidentel. « Depuis maintenant une dizaine d'années, certains fonds ont fait le choix de décrocher en termes de taux servis. » Il parle bien de « choix », car il faut le rappeler : le rendement n'est pas un calcul de la performance pure d'un fonds. Les gestionnaires ont une latitude (encadrée par la loi) pour le déterminer en imputant divers frais et provisions.
EuroFlex : la déception
C'est la mauvaise surprise. EuroFlex (Apicil) innovait en 2017 avec sa garantie partielle du capital et son approche très « marchés financiers ». Or ce fonds web « prometteur » livre 1% depuis deux ans, et à peine plus de 6,5% pour les 5 dernières années, en cumulé.
Pour Cyrille Chartier-Kastler, la messe est dite. « Apicil fait passer un message clair : ils ne veulent plus de versement sur le fonds en euros ! Leur choix est de s'orienter fortement vers les unités de compte. » Réfutant l'idée d'un taux sous distribué (« car les autorités de contrôles veillent), il s'étonne des 1%. « Cela montre que le portefeuille n'est pas très bon. Qu'ils ne font peut-être pas le travail nécessaire pour l'améliorer ! »
Mécaniquement, ce résultat provoque des rachats massifs, suppose Cyrille Chartier-Kastler. « La décollecte n'aidera pas à remonter la pente avec les nouvelles obligations. » Dès lors, comment rebondir ? « On se demande s'ils n'enterrent pas un peu le fonds », tranche le spécialiste.
Yves Conan, directeur général du courtier en ligne Linxea (qui distribue EuroFlex via son contrat Zen), souhaite rester positif. S'il ne nie pas les difficultés, il promet que l'assureur veut redresser la barre. « Le contrat a été amélioré. Ils sont passés de 96 à 98% de garantie en capital. L'affichage des frais est désormais plus clair. Ils offrent un petit booster pour attirer la collecte. » Il en faudra tout de même plus pour convaincre. À commencer par des taux canons.
Suravenir Opportunités : des lendemains qui chantent ?
Le booster, c'est la stratégie adoptée pour relancer Suravenir Opportunités. Après un passage à vide à 2% et moins vers 2020, le fonds a repris un peu de vigueur livrant 2,5% en 2023 et 2024. On reste tout de même loin du top 3, son habitude il y a près de 10 ans. « C'est vrai, Opportunités a été en tête pendant très longtemps, concède Yves Conan de Linxea. Avec son « clone » Opportunités 2, ils sont un petit peu en retrait. »
Mais il relativise : « 2,5% en 2024, ce n'est pas dramatique » ! D'autant que le « boost » ajoute 2 points de performance aux nouveaux versements. Ici, la dynamique serait à la reprise. « Avec le fonds Opportunités 2, ils sont passés à une garantie partielle du capital, précise Cyrille Chartier-Kastler. Cela permet de prendre un petit peu plus de risque. » « La collecte est très positive en 2024 et début 2025, croit savoir Yves Conan. On peut s'attendre à une belle remontée en fin d'année. »
Alors que l'actif général Suravenir Rendement est englué comme jamais, il est plus que jamais temps de basculer ses fonds. Or c'est paradoxal : Suravenir espère la collecte, mais ne permet pas les arbitrages vers « Opportunités 2 ». Qu'importe : si la fiscalité n'est pas trop sévère, il est tout à fait possible d'effectuer un rachat partiel pour le réinjecter dans le fonds dynamique. En plus, on bénéficiera du booster !
Netissima / Euro Exclusif : les fonds euros ne sont pas mort !
Les fonds « web » de Generali, Netissima et son faux jumeau Euro Exclusif - distribué par Boursorama et un peu plus généreux - furent longtemps des poids lourds des classements. Mais à la fin des années 2010 est apparue l'époque de la défiance !
Cyrille Chartier-Kastler remémore ainsi la fameuse déclaration de Jean-Laurent Granier, président de l'assureur, en 2019 : « Le monde du fonds en euros roi est terminé ». S'en sont suivies des années sombres pour ses actifs, avec des performances plafonnant en dessous de 2%.
Assurance vie : la « mort » du fonds euros en 8 questions
« Generali, gros fournisseur de contrats internet, poussait alors totalement vers les unités de compte », précise le fondateur de Good Value For Money. Mais avec la remontée récente des taux, il signale que « le discours s'est modéré ». D'ailleurs, l'an passé, les performances ont surpris, atteignant un joli 3%. Reste à voir si cela va perdurer dans le temps.
Pour y contribuer, en plus d'offres boost, Yves Conan évoque un « bon plan ». Jusqu'à fin juillet, Generali autorise à « basculer ses fonds investis dans l'actif général Eurossima vers Netissima ». « Il y a un écart de 70-80 points de base sur les performances. Là, il ne faut pas réfléchir, et arbitrer. C'est presque miraculeux. » Une tactique de collecte par arbitrage, c'est original. Mieux vaut suivre le mouvement : ce type de « promo » va contribuer à dégrader Eurossima ! Un actif général en souffrance... De quoi sans doute agacer, du côté de l'assureur !
NeoEuro Garanti 1 et 2 : les oubliés ?
NeoEuro Garanti était dans le Top 5 du marché en 2013 ou 2015. Là encore, la promesse de Spirica était un fond dynamique porté par une part d'OPCVM. Lancé en 2011, le fonds « 1 » a été « remplacé » par un jumeau « 2 », en fin de décennie.
Sauf que dès 2020, le séisme du marché a poussé l'assureur à fermer les vannes. Depuis, c'est un peu la soupe à la grimace. La version 1 peine à offrir 1 à 1,5% par an, quand la« 2 », un peu moins garantie en capital, alterne entre 0 (2022) et plus de 2% ces dernières années.
Mais forcément, il ne faut pas espérer bien plus. Car deux fonds dynamiques fermés à la collecte ne risquent plus trop d'être chouchoutés par l'assureur. « De toute façon, Spirica a toujours eu du mal avec NeoEuro », nous glisse notre actuaire anonyme. « Il performait comme le marché. Mais dès que cela s'est compliqué, ils sont passés à autre chose. » Dommage pour les épargnants...
Boosters... du marché ?
« Les stars des années 2010 le sont un peu moins aujourd'hui ! » Lorsqu'il observe les « tops » des deux dernières années, Philippe Crevel remarque que « les temps ont changé ». « Il y a une convergence dans les rendements des assurances vie », avec un retour en force des historiques, tutoyant pour la première fois depuis longtemps les 3%.
« Les fonds dynamiques ont joué un rôle catalyseur ! »
« L'arrivée des fonds en ligne a poussé les acteurs traditionnels à se booster. Aujourd'hui, si on observe qu'ils sont en difficulté, c'est aussi que les autres sont devenus un peu meilleurs. Les fonds dynamiques ont joué un rôle catalyseur ! »
D'ailleurs, les discours mentionnant une « poche de diversification » sont désormais la norme ! Mais, comme le prouve le rebond de certains, l'économiste refuse d'annoncer la mort des déchus du podium. « Nous sommes vraiment dans un contexte particulier. On peut imaginer que certains retrouvent des leviers de croissance. »
On peut l'imaginer, mais on ne peut en être certain. Car l'économiste rappelle une maxime de la finance : « tout placement comporte toujours une part de risque ». On l'imagine assez facilement pour l'investissement en bourse... Mais cela s'applique également aux fonds euros ! « L'idée que l'on puisse toujours surperformer, cela n'existe pas. Livrer 4 ou 6%, on peut le faire plusieurs années. Mais il y aura forcément des corrections. » Comme le disent les traders, c'est la loi du marché.