« Il y a désormais trois catégories de SCPI. Les nouvelles, qui sont largement en tête. Le milieu de peloton, qui se maintient bien. Et celles qui se sont claquées en début de match, et sont un peu cramées ! » S'il souhaite garder l'anonymat, un acteur majeur de la pierre papier confirme la tendance : homogène depuis près d'une décennie, le marché des SCPI est désormais fracturé. La raison : ces véhicules de pierre papier, qui permettent l'investissement mutualisé dans l'immobilier professionnel, n'ont pas la même stratégie d'acquisition. Et dans le paysage, ce sont les fonds composés d'immobilier de bureau, notamment en zones périphériques, qui souffrent le plus.
SCPI : faut-il fuir la pierre papier ?
« Les décotes risquent de continuer »
Notre témoin prend l'exemple de La Défense. La vacance locative (l'absence d'occupant) « y atteint près de 33%. Il n'y a plus d'acheteur, plus de marchés, pour des tours à 200 millions d'euros. » L'estimation des biens baisse donc mécaniquement.
Conséquence : la valeur des parts chute, parfois lourdement : -29% pour Genepierre (Amundi), - 31% pour Accimmo Pierre (BNP), 34% pour Laffitte Pierre (AEW), -39% pour Primopierre (Primonial)... Le point commun de ces véhicules « en chute libre » ? Ils souvent très souvent portés par des établissements de renom. Clément Renault, fondateur du courtier spécialisé Louve Invest, les surnomme « ABB, Anciennes-bureaux-bancaires » : « orientées sur les bureaux, gérées par des gestionnaires d'actifs de grands groupes : Amundi, HSBC, BNP, La Française, ou même Primonial. » Les bruits de couloir ne sont pas très optimistes, murmurant que « les décotes risquent de continuer ».
Tenir ou sortir ?
C'est la douche froide pour les épargnants. À commencer par ceux qui, portés par l'effet de mode, ont misé récemment, « au plus haut, et parfois à crédit ». La peine est même double : même en moins-value, il devient difficile de vendre ses parts. Car quand la collecte s'effondre, il n'y a plus beaucoup d'acheteurs...
Comment les épargnants peuvent réagir ? Pour les personnes en nette moins-value, avec parfois un crédit-SCPI à rembourser, Pierre Garin, directeur du Pôle Immobilier chez Linxea, invite à prendre de la hauteur. « Une baisse du prix des parts est indolore, sauf à la revente. Si on les conserve, on continue à toucher un revenu. Beaucoup de véhicules ont maintenu le niveau de leurs dividendes. » Clément Renault rappelle d'ailleurs qu'« aucune SCPI n'a interrompu le versement de loyers. » Il propose donc aux associés de « ne rien faire, et espérer que la distribution continue ». À l'inverse, tous les distributeurs sont d'accord : les plus anciens, dont la ligne est stable ou positive, devraient « sortir dès que possible »... pour chercher meilleure fortune ailleurs !
Car Pierre Garin balaye la théorie des « soldes », qui verrait les chutes comme des opportunités. « L'an dernier, on parlait déjà d'un bon point d'entrée, et la baisse s'est poursuivie. Même si le plus dur semble passé, rien ne dit que cela ne va pas continuer... » Il rappelle un élément : « même avec la baisse de prix, le taux de distribution n'est pas si important. Pourquoi prendre le risque ? » Son argument massue : « Si elles ont décoté à ce point, il y a forcément une raison. On trouve des fonds dans une situation sinistrée... »
Clément Renault résume l'avis de tous : « Évidemment, on les délaisse ! » Les warnings sont en effet « encore au rouge », selon Patrick Thiberge, directeur général de Meilleurtaux Placement : « Une SCPI a des charges à payer, des coûts d'entretien, de rénovation. Lorsque la carence locative s'accentue, les rentrées de liquidités sont plus faibles, engendrant un déséquilibre. S'il n'y a plus assez de locataires, elle ne peut plus faire face aux besoins de liquidité. » Un manque de trésorerie aggravé par un contexte de collecte en berne. Il invite donc à se montrer « vigilant » quant à la « solidité de la SCPI ».
Les résistantes
Dans un second « groupe », on trouve les SCPI « historiques » ayant évité la casse. Logiquement, elles ont les faveurs de nos experts . « Les véhicules âgés de 20 ou 30 ans qui ont tenu malgré la crise, il faut les conserver », soutient le DG de Meilleurtaux Placement ! Il liste notamment celles placées dans l'immobilier résidentiel, les bureaux intramuros parisiens... « Elles ont un rendement autour de 4,5/5%. C'est déjà très bien ! La collecte continue, elles ont toujours le vent en poupe. On peut y aller plus sereinement. » Il cite par exemple Immorente (Sofidy). « Elle a une histoire, il n'y a pas de problème de sous-jacent. »
Pierre Garin partage son analyse : « son prix de part n'a jamais baissé en 40 ans, malgré les crises. Le modèle est résilient. » Clément Renault évoque également Epargne Pierre (Atland). « C'est le leader du monde d'avant. Les fondamentaux sont solides, le taux de distribution (5,28%) est au-dessus de la moyenne. » Sa capitalisation dépassant les 2,6 milliards d'euros, il juge le risque d'effondrement « limité ». En plus de ces deux « références », Patrick Thiberge signale le véhicule de logistique ActivImmo (Alderan), et Pierre Garin ajoute PFO (Perial) et Eurovalys (Advenis).
La chance des débutantes
Néanmoins, les distributeurs privilégient une autre option : les produits récents. Depuis une décennie, de « petits nouveaux » ont émergé, avec des tactiques disruptives : diversification extrême des secteurs d'activité, investissement dans toute l'Europe, innovation sur les frais... Avec succès : leurs taux de distribution dépassent les 6, voire les 7% ! Leur chance, c'est d'émerger dans un market timing idéal, alors que l'immobilier professionnel a connu des baisses substantielles.
« Pour elles, c'est festival, plaisante Clément Renault ! Elles achètent des biens à des prix défiant toute concurrence. De quoi délivrer des taux de rendement insolents ! » « Le malheur des uns fait le bonheur des autres, rebondit Pierre Garin. Les nouveaux entrants investissent à un point de marché historiquement bas. » Les capitaux affluent, facilitant les acquisitions rapides. « Ces nouvelles SCPI sont désormais sur les podiums de la collecte », assure le fondateur de Louve Invest. De quoi constituer rapidement un stock d'immeubles « au rendement acte en mains de 7 à 8% ». Pierre Garin y voit un socle pour la performance future. « Ces biens constituent des réserves de plus-values, quand le marché va remonter. Cela se reflètera dans la valorisation des parts. » En cas de ventes d'immeubles, la performance sera même boostée !
Pente descendante
Ceci dit, le spécialiste de Linxea tient à nuancer les choses : « Quand on retrouvera un niveau de marché plus standard, livrer 7% sera difficilement tenable. » Ces nouvelles SCPI seront en effet obligées, un jour, de procéder à des acquisitions moins « rentables ». Pour les jeunes véhicules, ce sera le grand test : seront-elles capables de miser tactiquement dans un marché moins « magique » ? « Elles dilueront mécaniquement leur taux de distribution », prédit Clément Renault, anticipant une « convergence » des rendements vers 6% (ou peut-être moins). Mais à la faveur des stocks acquis dans « des circonstances favorables », il n'imagine pas de descente brutale.
Qui sont les « néo-champions » ? Nos interlocuteurs désignent les actifs de Corum, Remake et Iroko. « Elles ont pu investir au bon moment », résume Pierre Garin. Il souligne également que leur « ancienneté », certes relative, les positionne dans un « rythme de croisière ». D'ailleurs, il constate déjà que leur taux de distribution est « sur une pente descendante ».
Cette SCPI sans frais d'entrée affiche désormais une décote de 5%
Départ canon
L'autre pari, c'est de cibler les nouvelles-nées. Une SCPI semble se détacher : Comète, lancée par Alderan en 2023. Elle devrait annoncer une rémunération de près de 10% pour 2024 ! Les distributeurs en font le probable leader pour quelque temps. « Les premières années, c'est assez facile d'être stratégique », tempère Pierre Garin. La performance est en trompe-l'œil : avec un délai de jouissance (le temps avant de toucher ses premiers revenus) porté à 6 mois, peu d'investisseurs perçoivent des dividendes... Ce qui favorise artificiellement le taux officiel ! Après ces 6 mois, c'est le jackpot ! « Le client peut se positionner pour profiter de quelques années avec un maximum de performance », glisse Pierre Garin. »
Selon Patrick Thiberge, les perspectives sont également au vert pour Transitions Europe d'Arkea. Sofidynamic (Sofidy) et Mistral Sélection (Swiss Life), apparues en 2024 et poussées par BoursoBank, ont également annoncé plus de 8% pour cette année.
SCPI : l'offensive sans frais de BoursoBank
Être regardant
Toutefois, il faut raison garder. « Une SCPI ne restera pas à 8% pendant 10 ans, prévient-on chez Linxea. Ça, c'est impossible. » Pierre Garin déconseille même de se précipiter sur chaque nouveauté. « Il faut regarder la solidité financière de la société de gestion. Son passif, son track record s'il y en a un. » Patrick Thiberge scrute les CV des gestionnaires. « Cela permet de se rassurer sur leur capacité de sourcing de produits de qualité, leur force de frappe. » En privilégiant les « expérimentés » aux « jeunes asset managers » !
Nos interlocuteurs en tirent le même enseignement : il est désormais temps de « regarder sous le capot » ! « Souvent, les particuliers regardaient le nom, la collecte, le rendement, les frais... Et on s'arrêtait là », regrette le DG de Meilleurtaux Placement. Désormais, il lui semble nécessaire de « procéder à l'audit précis des investissements immobiliers, de la gestion, de la location et la vacance... » Des informations que les sociétés ont l'obligation de communiquer.
La crise actuelle rétablit une réalité : l'immobilier est une « classe d'actif comme les autres », martèle Pierre Garin. Il ne faut pas omettre que ces produits sont complexes, et nécessitent d'être maîtrisés avant d'y aller. « On a éduqué les Français à regarder les sous-jacents des produits actions, explique Patrick Thiberge. Cela doit également être le cas pour les SCPI. » Dans cet esprit, Meilleurtaux Placement a d'ailleurs pris une décision radicale : se focaliser sur une dizaine de produits, issus de quatre « maisons » (Sofidy, Atland Voisin, Corum et Arkéa). « Nous privilégions des acteurs solides, pour accompagner au mieux nos clients », justifie le directeur général.
« La SCPI va exploser comme jamais dans les prochaines années »
Nos experts listent tout de même quelques clés pour choisir. Préférer la « diversification sectorielle et géographique », qui semble idéale pour mutualiser les risques. Avoir une « vision à long terme », en se focalisant sur les loyers, et donc le futur complément de revenus, que plutôt que sur la valeur des parts. Et être vigilant sur les encours des produits, qui doivent idéalement dépasser 100 millions d'euros, garants d'un début de stabilité.
Quoi qu'il en soit, tous trois continueront à recommander l'investissement dans la pierre papier. Chez Louve Invest, on imagine même qu'elle va prendre son envol. « C'est le meilleur placement immobilier, estime Clément Renault. Beaucoup de Français ont 80% de leur patrimoine dans la pierre. Au lieu d'un appartement, les SCPI sont un bon moyen d'obtenir un complément de revenus. » Alors que les fonds euros de l'assurance vie vont « baisser à nouveau », que les actions et obligations sont « incertaines », peu de produits permettent selon lui une performance de 4 à 6% ! Il en est donc certain : « la SCPI va exploser comme jamais dans les prochaines années ». Les jeunes véhicules ont de beaux jours devant eux.