Pourquoi les marchés restent calmes ?
Tant pour les actions en Bourse que sur pour les taux d'emprunt, les investisseurs ont accueilli la chute du gouvernement français et la crise politique avec... flegme.
Agité comme un chiffon rouge ces derniers jours, le niveau inquiétant du "spread", c'est à dire l'écart de taux d'emprunts obligataires entre la France et l'Allemagne, pays le plus sûr de la zone euro, baromètre de l'inquiétude des investisseurs, a même baissé avant et après la censure.
Autre signe de l'absence de panique, la Bourse de Paris progressait à la mi-journée, et l'euro, marqueur du niveau d'inquiétude en zone euro, lui aussi progressait.
La presse économique anglo-saxonne, vecteur central de l'image de la France aux yeux des investisseurs étrangers, n'a pourtant pas été tendre.
Sur fond de couleurs vives, le magazine britannique The Economist a déjà titré en Une de son magazine daté de samedi que "la France entre dans l'inconnue" accompagné du juron "merde" en français, tandis que la "paralysie politique" a été choisie par l'influent Wall Street Journal pour qualifier la situation.
"Le marché avait déjà anticipé l'instabilité gouvernementale", relève auprès de l'AFP Philippe Cohen, gérant de portefeuilles pour Kiplink Finance. Et en se projetant sur l'avenir, "le marché est conscient que ce ne sera ni LFI ni RN" qui seront amenés à diriger le prochain gouvernement "et ça le rassure", ajoute-t-il.
De la diversification de son économie à son niveau d'épargne, en passant par la puissance de son secteur financier ou la potentielle protection de la Banque centrale européenne (BCE) en cas d'attaque des investisseurs contre la France, nombreux sont les arguments permettant d'expliquer la relative mansuétude dont bénéficie la deuxième économie de la zone euro.
La situation peut-elle déraper ?
Davantage qu'un événement qui viendrait brutalement causer une panique financière, les marchés s'inquiètent d'une lente dégradation de la situation économique et politique, à la manière de la fable de la grenouille plongée pendant une longue période dans une marmite d'eau qui chauffe, qui chauffe... jusqu'à l'ébouillanter.
C'est le principe de l'"effet boule de neige", déjà pointé en octobre par le président de la Cour des comptes Pierre Moscovici.
Le poids des mauvaises nouvelles s'accumule depuis le début de l'année : un déficit budgétaire beaucoup plus lourd que prévu, des difficultés à réaliser des économies, des perspectives politiques peu réjouissantes...
Toutes ces incertitudes ont fait fortement grimper le niveau du "spread" après la dissolution de l'Assemblée nationale en juin, le faisant doubler par rapport à son niveau de mars dernier, et renchérissent le poids du remboursement de la dette française, à un niveau historiquement élevé.
L'agence de notation Moody's qui a signalé fin octobre qu'elle envisageait d'abaisser sa note pour la France, a dit craindre mercredi un cocktail "négatif" entre "des déficits plus élevés, un poids de la dette alourdi et des coûts de financements plus hauts, avec des besoins annuels d'emprunts significatifs".
"Tout pourrait très vite s'emballer", a prévenu dans un entre Aurélien Buffault, gérant obligataire de Delubac AM.
Dans un premier temps, les investisseurs attendent "une clarification sur la trajectoire de déficit" pour "juger" estime Raphaël Thuin, directeur des stratégies de marchés de Tikehau Capital.
D'autant que la France qui n'a toujours pas de budget et pourrait de nouveau voir son déficit public dépasser ses promesses faite à la Commission européenne, risque d'avoir à en payer les pots cassés sur sa croissance.
Pour les analystes de Goldman Sachs, "les effets d'une incertitude politique accrue pèseraient probablement sur la consommation privée et les décisions d'investissement. La banque américaine s'attend "à ce que les risques de révision à la baisse de nos prévisions de croissance soient plus importants".
Sa prévision de hausse du PIB est pourtant déjà modeste, à 0,7% l'an prochain, tandis que l'OCDE a nettement revu en baisse mercredi sa prévision de croissance pour l'an prochain, la faisant passer de 1,2% à 0,9%.