Pascal Eric a dit:
ci joint l'article
- Source Le Figaro le 30 Sept 2023
«Certains d'entre eux doivent raser les murs»: l’angoisse des conseillers en patrimoine rattrapés par la crise de l'immobilier
Par
Jorge Carasso [lien réservé abonné]
ENQUÊTE - Les bouleversements macro-économiques changent la donne pour les épargnants. Refroidis par la mauvaise performance de certains produits financiers, certains apprennent à gérer leurs placements tout seuls. Une douche froide pour les conseillers en patrimoine.
Sandwiches triangles, découpe de jambon Serrano et coupes de champagne… Au salon Patrimonia, la grand-messe des conseillers en gestion de patrimoine (CGP), qui se tient tous les ans fin septembre à Lyon, les cadors de la finance ont mis les petits plats dans les grands. Leur objectif : séduire les CGP, ces partenaires indispensables qui distribuent leurs produits financiers après des épargnants. Pour que l’atmosphère reste bon enfant dans les allées, il fallait mettre sous la nappe les sujets qui auraient pu casser l’ambiance.
Depuis quelques mois, les difficultés s’amoncellent pour les conseiller en gestion de patrimoine. La hausse des taux d’intérêt, la crise du marché immobilier, les craintes de récession et les incertitudes sur les marchés boursiers sont autant de cailloux dans leurs chaussures. Tous ces éléments changent la donne pour les épargnants... et tous ceux qui souhaitent leur vendre des produits financiers. « Ce n'est pas simple en ce moment», reconnait Laurent dans les allées de Patrimonia. Comme beaucoup de ses confrères, ce CGP installé dans la Val d’Oise (95) a vendu pendant des années des fonds immobiliers. Des placements SCPI investis dans des immeubles de bureaux et dans des commerces qui rapportaient tous les ans 4 à 5%, et dont la valeur s'appréciait au fil de l'eau. L'année dernière les souscriptions de SCPI ont été records, à près de 10 milliards d'euros.
Mais le vent semble avoir tourné. Le marché immobilier est plombé par la hausse des taux et les valeurs chancellent. Dans ces conditions, certains produits financiers, dont des best-sellers pesant plusieurs milliards d'euros, ont subi de fortes corrections ces derniers mois (de 7 à 17%) ou manquent de liquidité pour les épargnants qui souhaitent vendre. De quoi mettre mal à l'aise les CGP qui conseillaient ces produits à leurs clients il y a encore peu de temps. «Certains d'entre eux doivent raser les murs», lâche un professionnel.
Ces produits continuent, certes, de distribuer des rendements. Il n'empêche, chez de nombreux épargnants la grogne monte. «On fait face à des mécontentements», confirme Raymond Le Ban, président de l'association de conseillers financiers CGPC. Ce changement d'ère pénalise surtout les nouvelles affaires. Les épargnants se détournent de ces produits qui ont longtemps été tête de gondole dans l'offre des CGP. Du moins de ceux jugés pas suffisamment rentables. «Les SCPI qui rapportent à peine 4% sont totalement à l'arrêt», constate un professionnel. Les plateformes de distribution évoquent des baisses de souscriptions de 40 à 50% par rapport à l'an passé. Un manque à gagner pour les CGP, pour qui ces produits représentent une manne, avec des frais d'entrée XXL (autour de 10%) à leur profit.
Ces placements ne sont pas les seuls à souffrir. Les investisseurs particuliers ont aussi déserté l'immobilier physique, car le crédit est devenu trop cher. En conséquence, les ventes de neuf via l'avantage fiscal Pinel ou de défiscalisation dans l'ancien (Malraux, déficits fonciers), des produits très vendus par les CGP, se sont effondrées ces derniers mois. Or ces dispositifs offraient aussi des marges confortables à ceux qui les distribuaient. «Les conseillers spécialisés dans la pierre ont chaud», reconnaît David Charlet. Certains me parlent de pertes de 80% de chiffre d'affaires sur cette activité. C'est très dur.»
Ces difficultés poussent beaucoup d'entre eux à changer leur fusil d'épaule. «Je ne fais plus de Pinel depuis le Covid , indique Pierre un conseiller financier habitué du salon. J'ai réorienté mes activités sur les obligations au travers de l'assurance-vie. Ces fonds marchent bien en ce moment.»
Pour ne rien arranger, les CGP ont aussi vu filer entre leur doigt la trésorerie d'entreprise, longtemps placée sur des contrats de capitalisation, et qui s'oriente également vers les comptes à terme. «Les conseillers agiles arrivent à placer ces sommes sur des comptes titres, mais ceux qui le sont moins voient cette épargne leur échapper », constate Philippe Parguey, directeur général de la plateforme pour CGP Nortia. Les mauvais chiffres de l'assurance-vie, qui affiche deux mois consécutifs de décollecte (-1,7 milliards d'euros en août selon France assureur) témoignent de ce phénomène. «Les clients ont trop d'épargne», reconnaît dépité un conseiller financier.
Cette situation défavorable aux CGP pourrait se prolonger. « On sent de l'attentisme, admet Martin Alix, directeur du développement chez Primonial partenaires.
Des clients se disent, je vais chercher un taux, et je réfléchis à quelles stratégies je peux placer de l'argent dans les 6 à 18 mois.» En effet, pourquoi prendre du risque quand on peut investir sur des produits garantis en capital qui rapportent ?
«Les clients viennent nous challenger, raconte Victor Deloo, conseiller en gestion de patrimoine chez PVLA conseils. Ils nous disent qu'ils peuvent obtenir du 4 à 5% tout seuls et nous demandent si ont peu faire de mieux.» Les produits de private equity, investis dans des jeunes pousses, et connus pour ces rendements alléchants, autour des 10% ont toujours l'oreille des épargnants. Ce n'est plus le cas pour les actions car les marchés sont hauts. « Les épargnants sont frileux lorsqu'on leur parle d'actions », poursuit Victor Deloo. Des placements pourtant rentables à long terme.
Dans ce contexte,
les fonds en euros, qui ne rapportaient plus grand-chose ces dernières années retrouvent de l'attrait. Pour orienter les clients dans cette nouvelle offre, les conseillers financiers tentent de mettre en avant leur savoir-faire. «
Certains assureurs vont offrir du 4 ou 5%, c'est un beau produit d'appel», indique Jérôme Tougard, directeur général adjoint de Zénith Investment Solution, filiale produits du groupe Laplace.
Ces offres alléchantes ne concernent néanmoins pas tous les contrats, ce qui explique une collecte largement négative sur ce placement depuis plusieurs mois. «Certains assureurs ont donné du 1,20% l'année dernière, ce n'est pas tenable», poursuit Jérôme Tougard. Là aussi il faut convient de reprendre son bâton de pèlerin pour faire connaître ces offres aux clients.
Certains conseillers patrimoniaux estiment qu'avec un peu de patience, ils pourraient retrouver une oreille attentive. «Avec la hausse des taux, les produits financiers retrouvent un peu d'oxygène. À court terme, les particuliers peuvent être tentés par des livrets, mais à long terme il faut forcément se tourner vers d'autres classes d'actifs, et donc vers du conseil», estime Raymond Le Ban, président de la CGPC. Les Français détiennent un matelas d'épargne record (550 milliards d'euros pour les seuls livret A et LDDS). Au premier trimestre, ils étaient à la tête d'un encours total d'épargne de 5 956 milliards d'euros, selon les chiffres de la Banque de France. Un pactole potentiel pour les conseillers financiers, sous réserve de proposer des produits à nouveau attractifs, ce que pour l'heure, ils peinent à faire.