« La tendance haussière des OAT pourrait potentiellement influencer les taux de crédit à moyen terme ». Ces dernières semaines, plusieurs professionnels du crédit alertent sur une possible hausse à venir des taux de crédit en raison des taux d'intérêts de plus en plus élevés pour la dette de l'Etat. En effet, les taux OAT - pour Obligations Assimilables du Trésor français - sont des emprunts d'État. Parfois désignés comme des « bons du Trésor », ces derniers sont émis pour 7 ans minimum, et 50 ans maximum.
Selon différents acteurs du crédit immobilier, notamment des courtiers, cette donnée est loin d'être anodine. « C'est quand même une variable importante, regardée par les banques pour fixer les taux, confirme Maël Bernier, directrice de la communication du courtier Meilleurtaux. Il est très rare que les banques lâchent la courbe des OAT. Ça a été le cas en 2022, entre avril et mai. En 2007 il y a également eu des OAT supérieures aux taux d'emprunt. Mais pour le reste, on remarque qu'il y a une corrélation qui est assez forte. »
Fixer un taux de crédit, une équation à facteurs multiples
Mais peut-on vraiment prédire les futurs taux de crédit immobilier simplement en regardant cet indicateur ? Quelles sont les composantes utilisées par les banques pour fixer leurs barèmes ? Au moment de demander aux établissements bancaires leur recette, la réponse est souvent la même : « On ne va malheureusement pas pouvoir répondre précisément à votre question. Cela relève du secret de fabrication », assure ainsi une banque à notre demande. Avant de préciser : « Sachez néanmoins que le taux du prêt immobilier est établi en fonction de plusieurs critères : coûts des ressources, du risque et de gestion ; taux de marge »
« Dans la formation des taux, il y a plusieurs paramètres qui entrent en ligne de compte, confirme Michel Mouillart, professeur d'économie et chargé des études mensuelles de l'Observatoire Crédit Logement CSA. Le premier est effectivement le coût des ressources. Cela comprend les possibilités de refinancement que l'établissement peut obtenir auprès de la Banque centrale européenne (BCE), mais également les coûts de fonctionnement interne qui sont non-négligeables dans le coût de la stratégie, comme le coût des structures informatiques, ou les charges salariales ».
Deuxièmement, il y a les éléments qui renvoient aux grands taux directeurs. C'est là que l'on va trouver les taux de l'OAT mais également les taux directeurs affichés par la BCE, car ils déterminent la stratégie à venir des établissements de crédit. « Les taux de la BCE montrent aux banques combient ils gagneraient s'ils plaçaient l'argent là-bas. Or, il vaut mieux prêter à 3,20% sur un crédit immo qu'à 2% à la BCE par exemple », explicite Maël Bernier. Aujourd'hui, le taux de rémunération des dépôts des établissements financiers auprès de la BCE est de 2,75%. Quant au taux de refinancement, aujourd'hui de 2,90%, il correspond à ce que les banques doivent payer lorsqu'elles empruntent de l'argent à la BCE.
Un autre paramètre entre en compte : les stratégies commerciales de la banque, à court terme et à long terme. « Sur certaines périodes, que ce soit en début d'année ou à la rentrée, on sait par exemple que les établissements cherchent à conquérir de nouveaux clients. Les banques cherchent à relancer leur activité et font donc un effort commercial sur leurs taux, analyse Michel Mouillart. Enfin, il faut prendre en compte la stratégie globale du groupe, qui dépendra donc de la période de l'année, mais également du positionnement de la concurrence. »
« On voit bien que le lien direct entre hausse des OAT et hausse des taux de crédit n'existe pratiquement pas »
Et l'impact des OAT, dans tout ça ? « On voit bien que le lien direct (entre hausse des OAT et hausse des taux de crédit, NDLR) n'existe pratiquement pas, parce que les taux de l'OAT montent depuis novembre par palliers, mais pour autant les taux des crédits continuent de baisser. Le lien n'est pas aussi étroit qu'on veut bien le croire, balaye Michel Mouillart. Il y a 15 ans, le Crédit foncier (un organisme spécialisé dans le financement de l'immobilier en France qui acessé ses activités en 2018 NDLR) se finançait sur le marché obligataire, il y avait donc un lien réel entre les taux de l'OAT et celui des crédits. Mais aujourd'hui, ce lien est assez ténu. »
Quelle est alors la donnée la plus importante ? « Il est possible de calculer le taux de corrélation entre les taux de crédit immobilier et les différents taux du marché, dévoile Michel Mouillart. Par exemple, le taux de corrélation entre le taux de refinancement de la BCE et les taux de crédit s'établit à 98%, et de 94% avec le taux moyen de rémunération de l'épargne. En revanche, pour l'OAT 10 ans, le taux de corrélation n'est que de 77%. »
Le taux de rémunération de l'épargne aurait donc un impact plus fort que le taux des OAT sur la fixation des taux de crédit. Une bonne nouvelle pour les emprunteurs, à en croire l'économiste : « Quand la Banque de France annonce un passage de 3% à 2,4% sur le Livret A au 1er février, ça signifie un allègement du coût de ressource d'épargne, et donc un coup de pouce sur la rentabilité bancaire, qui fait que les banques gagnent en capacité pour être mieux disantes sur le crédit immobilier. »
Taux du Livret A : une très bonne nouvelle pour votre banque depuis le 1er février
Entre hausse des OAT et baisse des taux de l'épargne, à quoi peut-on s'attendre pour les prochains mois ? Pour Michel Mouillart, les taux continueront à baisser au premier semestre 2025, jusqu'à 2,90% environ, avant une stabilisation. Certains emprunteurs pourraient toutefois bénéficier de conditions plus attractives. « Un établissement de crédit ne traite pas toutes les clientèles de manière uniforme. Certains sont servis de manière préférentielle, comme les jeunes, qui sont les clientèles de demain, pas seulement sur l'emprunt mais également sur l'épargne. Un prêt à un jeune fidélise un client sur plusieurs années. À partir de là, les banques sont prêtes à rogner un peu sur leur marge. La perte de marge d'aujourd'hui fait la marge de demain. »
Vous l'aurez compris, difficile, voire impossible, de se baser sur un indicateur pour comprendre la manière dont un établissement bancaire fixe ses taux. Car les barèmes proposés chaque mois aux emprunteurs dépendent en fait d'un ensemble de données bien plus large. De quoi rassurer les emprunteurs, malgré la récente volatilité des OAT.