Bonjour,
Je soumets à la sagacité de votre analyse un arrêt rendu il y a seulement deux jours par la Cour d’appel de Paris (Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 6, 14 septembre 2018, n° 16/22274).
Il apparaît que l'analyse de la Cour est bien étayée, sachant par ailleurs que l'avocate des emprunteurs est bien connue comme spécialiste des "litiges lombard". Ce qui laisse supposer que les conclusions de part et d'autre devaient être, selon toute vraisemblance, sérieuses, argumentées et solides, et les débats vifs.
C'est en cela que l'analyse de cet arrêt peut s'avérer intéressante pour tous ceux qui envisagent une action du fait d'un mode de calcul utilisant un diviseur 360 par la banque (ou qui sont déjà en procédure sur ces mêmes motifs).
Ce qui saute de suite aux yeux en première lecture : la Cour d'appel de Paris semble évoluer dans un sens plus favorable aux emprunteurs, contrairement à sa position inflexible de ces derniers mois où l'emprunteur n'obtenait gain de cause que sur le maigre remboursement d'intérêts indûment perçus par la banque sur la première échéance calculée sur 360 jours, une petite dizaine d'euros en général (à condition que l'emprunteur ait démontré l'utilisation proscrite du diviseur 360, bien sûr).
En effet, par cette décision, la Cour d'appel condamne la banque en exigeant un nouveau tableau d'amortissement calculé en mois normalisés au NUMÉRATEUR et en année civile de 365 ou 366 jours au DÉNOMINATEUR (comme c'est amusant, c'est quelque chose que j'ai écrit des dizaines de fois sur les Forums que nous avons tous fréquentés ici) !), et le remboursement de la différence indûment perçue, ce qui au passage démontre bien qu'il faut effectivement tenir compte des années bissextiles (ce que j'ai mainte fois écrit ici également).
On semblerait donc s'éloigner, pour les crédits immobiliers, de la fameuse équivalence financière d'un mois normalisé rapporté à une année qui comporterait TOUJOURS 365 jours (que l'année soit bissextile ou non) pour le calculs des intérêts, qui est proscrite par les textes (voir posts précédents).
Mais à mon sens, il semblerait que l'emprunteur, donc par la voix de son avocate spécialisée et compétente, n'ait pas été en mesure de démontrer que la première échéance était incorrectement calculée par rapport à une année de 360 jours, tout simplement parce que dès la première échéance il était en situation d'un mois plein, et non dans une configuration d'échéance "dite bisée". Je pense qu'il en aurait été tout autrement si la première échéance avait été calculée sur un mois incomplet. Pas de bol pour lui :-(
Il n'en reste pas moins que l'emprunteur semble avoir fourni la démonstration de l'utilisation d'un ratio 30/360 par la banque sur toutes ses échéances, et donc sur l'ensemble de son tableau d'amortissement. Selon toute probabilité, il a dû en résulter un trop perçu par la banque au moment du solde du crédit (mais j'ai l'impression qu'en première instance, le Tribunal a expliqué qu'il n'y avait pas de surcoût démontré. À défaut d'avoir tous les éléments, on va dire qu'il y avait un surcoût occulte).
De plus, l'emprunteur s'est offert le luxe de simuler un remboursement anticipé, et de démontrer également l'utilisation du diviseur 360 en ce cas. À n'en pas douter, l'emprunteur a mis toutes les chances de son côté, et a prouvé l'usage lombard par la banque, et la perception indue d'intérêts par elle. On peut faire confiance à son avocate pour avoir bien bossé. Rien à dire de ce côté là, ça transpire de l'analyse de l'arrêt.
Pour couronner le tout, l'offre de prêt contient clairement la "fameuse" clause qui stipule « un calcul des intérêts conventionnels sur la base de 360 jours, chaque mois étant compté pour 30 exclusivement rapportés à 360 jours l’an. »
En ce cas, en présence de la clause et fort d'une démonstration imparable, et comme le demande l'emprunteur : « la sanction d’un tel calcul sur des bases prohibées est la nullité de la stipulation conventionnelle d’intérêts et la substitution du taux légal en vigueur au jour de l’acceptation de l’offre et la restitution consécutive du trop perçu d’intérêts. »
Et pourtant, la Cour d'appel en a jugé autrement, sur les fondements du droit de la responsabilité (c'est-à-dire le préjudice subi par l'emprunteur), et non sur les fondements du droit des contrats et des nullités, alors que l'emprunteur n'a pas été en mesure d'évaluer les surcoûts du calcul lombard, et par conséquent de donner un consentement libre et éclairé au coût global.
Or, la position de la Cour de cassation n'a pas changé depuis des années, nous disant que :
- Le juge doit rechercher si l'emprunteur a bien consenti au calcul lombard.
- La sanction d'une absence de consentement entraîne la nullité de la clause d'intérêt.
- En cas de calculs sur une année autre que l'année civile, la seule sanction possible est la nullité de la clause d'intérêt.
Je vous ai déjà livré la dizaine d'arrêts de la Haute Juridiction qui nous racontent tout cela.
La Cour d'appel de Paris justifie sa position en nous disant que : « les emprunteurs n’ont donc pu valablement consentir au mode de calcul indiqué de l’intérêt conventionnel, qui se distingue toutefois de l’énonciation elle-même du 'taux de l’intérêt conventionnel' qui doit être fixé par écrit selon l’alinéa 2 de l’article 1907 du code civil et dont seul le défaut – où celui qui lui est assimilé ce qui n’est pas le cas du mode de calcul – est sanctionné par la nullité de la stipulation d’intérêts.
Ils doivent donc être déboutés de leur demande tendant à voir prononcer la nullité de la stipulation conventionnelle d’intérêts. »
Ce n'est que mon opinion personnelle, mais il me semble que la Cour n'a pas été au bout de son raisonnement. Je pense intimement que s'il n'y avait pas eu présence de la "fameuse" clause, mais seulement un calcul subreptice de la banque sans prévenir l'emprunteur de son modus operandi, la Cour n'aurait pas pu argumenter de la sorte, d'autant qu'elle constate explicitement que « les emprunteurs n’ont donc pu valablement consentir au mode de calcul indiqué de l’intérêt conventionnel. »
Décidément, la Cour d'appel de Paris peine à annuler purement et simplement la clause d'intérêt conventionnel (contractuel) !!!
Comme je l'ai déjà écrit ici et ailleurs, il faudrait vraiment que les avocats se concentrent davantage sur le défaut de consentement de l'emprunteur (et non sur le vice, la différence est d'importance), donc sur le fait que le contrat ne s'est pas valablement (correctement) formé, d'où la nullité relative de l'intérêt contractuel (conventionnel).
Et ainsi suivre le raisonnement adopté depuis toujours par la Cour de cassation, donc imparable. C'est sûrement ce qui a fait partiellement perdre les emprunteurs de cette décision critiquable... il fallait aller plus loin dans l'argumentation.
Tout ce que je viens d'écrire n'engage que moi. Si quelques-uns veulent bien apporter leurs lumières, ils sont les bienvenus.
Bien à vous.
Chercheur de Jurisprudences