Comment nous nous adaptons à l'inflation / Appel à témoignages

Comme mis dans mon premier message, l'arrêt de production complet est effectivement envisagé et certains commencent réellement à sauter le pas.

Pour les cultures, l'idée est d'ensemencer toutes les parcelles en herbe sans toutefois la récolter ou la faire pâturer.

En terme de travaux, cela représente :
- les travaux de préparation du semis et le semis : 1 fois
- l'irrigation du semis pour faciliter l'implantation s besoin : 1 fois
- un broyage annuel pour maintenir propres les parcelles
- le passage d'une épareuse pour maintenir propres les contours de parcelles (éviter l'envahissement par les ronces, couper les petites branches...) : 1 fois tous les 2 ans

Cette solution :
- nécessite très très peu de travail humain
- limite au maximum les frais d'entrants et de mécanisation : 1 passage/an sur la parcelle et 1 tous les 2 ans autour
- nécessite très peu de matériels
- reste compatible avec les règles de la PAC (pas de baisse des primes)
- permet l'obtention de certaines primes environnementales supplémentaires (agences de l'eau, surprime....)
- permet de se débarrasser de pas mal de tâches administratives
- met à l'abri l'agriculteur de l' "agribashing"

C'est bien 0 tracas mais aussi 0 produit par la collectivité.....

Nous allons entamer la campagne 2023 mais je ne sais pas ce que nous déciderons pour après.
Vendre mais, à qui ? Les terres ont de plus en plus de mal à trouver preneurs. Les plus passionnés sont dégoûtés de travailler et beaucoup sont en incapacité financière de faire de nouveaux investissements.

Pour l'élevage, nous passons aujourd'hui de l'état "produire pour rien" à "perdre de l'argent en produisant".
Pour quelles raisons continuer ?
Avoir des compliments de nos clients (acheteurs des volailles ou des œufs) ne suffit plus même si ça nous a déjà fait tenir par le passé.

Nous avons du stock d'animaux vivants pour tenir jusqu'à fin décembre. D'ici un mois, nous devons décider si nous mettons en place ou non un nouveau lot de poulets.


Depuis des années, l'exploitation a des revenus négatifs qui viennent en déduction de mon salaire au niveau des revenus du foyer. J'ai dit plusieurs qu'épouser un agriculteur est la meilleure solution pour défiscaliser.
L'exploitation est saine car il y a peu d'emprunts et pas de dettes (factures ou cotisations MSA) . J'essaie de la gérer au mieux de façon à avoir éventuellement le choix d'arrêter.

Moi, je me refuse de dépenser de l'argent de mon salaire pour payer des dépenses de fonctionnement de l'exploitation. Je paierais uniquement des échéances d'emprunts liées au foncier si nécessaire.
Il y a une ligne rouge que je m'interdis de franchir.


J'ai été finalement très longue mais j'espère que cela vous aura intéressé.
Cela change des posts "finances" !
 
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moietmoi a dit:
Merci pour ce témoignage et toutes ces informations; ceci est très riche et demande du temps pour comprendre et analyser, mais je retiens que grosso modo

et il est sujet à de nombreuses obligations et contraintes de production;

il n'est donc ni plus ni moins qu'un ouvrier/employé sous rémunéré ; en aucun cas un chef d'entreprise, alors que juridiquement on lui demande l'être.... on a donc inventé l'ubérisation avant l'heure; (des indépendants, n'ayant d'indépendants que les contraintes...)

c'est vraiment dommage pour ces personnes qui aiment leur métier, qui malheureusement est dépecé;
Pour le coup, celle qui remplit le rôle du chef d'entreprise c'est moi. Je m'occupe de tout le volet administratif (comptabilité, PAC ......). Mon mari n'a pas les compétences et le goût pour faire ça et devrait tout déléguer si je ne m'en occupais pas (environ 6000€/an). Le fait de tout déléguer n'enlève en rien la responsabilité juridique détenue par le chef d'exploitation et cela ne permet pas d'avoir une vision aussi claire de la situation comme je peux l'avoir.

Mais, chut, ce n'est pas officiel car sinon, je serais dans l'obligation de cotiser à la MSA (environ 1800€/an) même si cette activité administrative ne représente pas de danger et que je le lui fais bénévolement.

Pour ma part, heureusement que je suis issue du monde agricole pour comprendre cette situation et que je suis à l'aise au niveau des démarches administratives.
 
Dernière modification:
moietmoi a dit:
oui, cela m'intéresse, car j'aimerais comprendre un peu mieux les choses; si on regarde les héritages en France, le monde agricole dispose de patrimoines héritables dans les "hauts" patrimoines, alors que l'on sait que le niveau de vie est très bas et que le taux de suicides devrait alerter au plus haut point; n'a t on pas au travers des banques récrée un système proche du métayage?
75 ha, cela est peu au vu de la taille moyenne des exploitations aujourd'hui :
- 25ha sont maintenant en plein propriété de mon mari
Il les a acquises via une donation de ses parents anciens exploitants et a eu la chance de ne pas avoir à emprunter pour dédommager ces 2 frères.
Ces terres ont été achetées via crédit bancaire à moitié par ses grands parents et l'autre moitié par ses parents. Les générations précédentes n'avaient jamais été propriétaires.
- 25ha sont en pleine propriété mais encore en cours de remboursement d'emprunt.
Pour s'installer en tant qu'exploitant auprès de ses parents, il était dans l'obligation d'investir
- 25ha sont en fermage auprès de tiers (4 propriétaires différents) et il nous serait impossible de les acquérir si elles nous étaient proposées à la vente.

Un point positif et de plus en plus rare : toutes les parcelles sont regroupées autour du siège d'exploitation.
La SAFER, souvent critiquée, a bien joué son rôle en nous permettant des achats/ventes successives de façon à regrouper des parcelles éloignées d'environ 10 km.

Effectivement, cela représente un patrimoine mais celui-ci n'apporte pas de revenu pour celui qui l'exploite aujourd'hui et est "gelé". Il s'agit de l'outil de travail.

Concernant les suicides, je peux vous dire que j'ai vraiment eu très très peur le jour où mon mari a fait une importante crise d'angoisse la nuit précédent un contrôle sanitaire sur l'exploitation. Je ne préfère pas imaginer ce qui aurait pu se passer s'il avait été seul ce moment-là.
 
On ne s'adapte pas à l'inflation : On ne peut que la subir.
 
Bonjour @xaramelaz ,

Quel bel exposé de votre situation, très complet, très réaliste de la situation de nombreux agriculteurs.
Merci d'avoir pris le temps de nous décrire tout cela.

Avez-vous des pistes de diversification qui pourraient être intéressante chez vous ?

Je pense à commencer la plantation d'arbres fruitiers dans certaines parcelles, le Tarn bénéficie d'un climat très favorable pour ce type de culture. Le marché est peut-être déjà bien occupé à ce niveau là, mais il y a surement des productions en manque de marchandise ? Le climat change, les mentalités également, il y a peut-être des choses à tenter.

Bref, je sais, ce sont des belles idées sur le papier et sur le terrain c'est autre chose, et cela nécessite de changer complétement ses pratiques. Mais vous avez une belle région avec du potentiel. Et nous avons besoin d'agriculteurs :)
 
xaramelaz a dit:
75 ha, cela est peu au vu de la taille moyenne des exploitations aujourd'hui :
- 25ha sont maintenant en plein propriété de mon mari
Il les a acquises via une donation de ses parents anciens exploitants et a eu la chance de ne pas avoir à emprunter pour dédommager ces 2 frères.
Ces terres ont été achetées via crédit bancaire à moitié par ses grands parents et l'autre moitié par ses parents. Les générations précédentes n'avaient jamais été propriétaires.
- 25ha sont en pleine propriété mais encore en cours de remboursement d'emprunt.
Pour s'installer en tant qu'exploitant auprès de ses parents, il était dans l'obligation d'investir
- 25ha sont en fermage auprès de tiers (4 propriétaires différents) et il nous serait impossible de les acquérir si elles nous étaient proposées à la vente.

Un point positif et de plus en plus rare : toutes les parcelles sont regroupées autour du siège d'exploitation.
La SAFER, souvent critiquée, a bien joué son rôle en nous permettant des achats/ventes successives de façon à regrouper des parcelles éloignées d'environ 10 km.

Effectivement, cela représente un patrimoine mais celui-ci n'apporte pas de revenu pour celui qui l'exploite aujourd'hui et est "gelé". Il s'agit de l'outil de travail.

Concernant les suicides, je peux vous dire que j'ai vraiment eu très très peur le jour où mon mari a fait une importante crise d'angoisse la nuit précédent un contrôle sanitaire sur l'exploitation. Je ne préfère pas imaginer ce qui aurait pu se passer s'il avait été seul ce moment-là.
Merci pour ce témoignage détaillé. Situation bien préoccupante pour vous et même pour nous par ricochet en tant que consommateur. Courage en espérant que des solutions auxquelles on ne pense pas encore émergeront. En attendant ne pas investir vos propres revenus (sauf urgence) dans l'exploitation me semble sensé.
 
Bonjour

Les circonstances actuelles liées aux manifestations agricoles me font penser à ces messages rédigés il y a quelques mois.

Depuis fin février 2023, mon mari a stoppé son activité d'élevage de volailles pour uniquement s'occuper des terres. Il a pu avoir 10 ha supplémentaires en fermage jouxtant immédiatement celles déjà exploitées.
Son but : tenir une douzaine de saisons jusqu'à la retraite.
 
Bonjour,

Fil intéressant et qui me permet de rebondir. Pour ma part :
- on continue d'acheter au marché tous les samedis car on a la chance d'avoir pas mal de maraichers et d'éleveurs qui font de la vente directe. C'est pas les 1ers prix mais c'est très raisonnable, rapport qualité prix imbattable et ça nous va bien de financer l'agriculture locale. On complète en supermarché, moins de biocoop.
- on fait du covoiturage avec ma compagne pour aller au travail
- je vais moins souvent manger à la cafet'
- on continue d'épargner pour profiter des taux élevés
- mme a changé d'assureur auto
- mme a repris à temps plein (temps partiel subi auparavant)
- j'ai revu mon abonnement mobile
- on ne cuisine pas souvent de la viande et du poisson, comme par le passé

Pour le reste on n'a pas trop à se plaindre et on gère assez bien notre budget en essayant d'en profiter aussi. On a des plaisirs simples : restau de temps en temps, randonnée, vélo, lecture, vacances en mobile home + 1 ou 2 weekend par an. On a des circonstances qui font que c'est sans doute moins durs pour nous que pour d'autres et puis pas d'enfant pour l'instant.
 
Pour une fois je vais défendre la grande distribution, en l'occurrence le supermarché où je me fournis de temps en temps.
Au rayon viande, ils ont passé un accord avec des agriculteurs locaux pour fournir de la viande (en plus je connais les exploitations qui fournissent ce magasin), et bien la viande est moins chère que celle dite Origine France vendue également dans ce magasin.
SUPER !!! et les éleveurs sont correctement rémunérés.
 
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