L'arrêt de la Cour de cassation du 27 novembre 2019 (n° 18-19.097) : nouvelle “norme“ pour sanctionner un calcul d'intérêts sur une année de 360 jours au lieu de l'année civile ?
Par un arrêt de principe du 19 juin 2013 (n° 12-16.651), confirmé le 17 juin 2015 (n° 14-14.326), la Cour de cassation a considéré que « en application combinée des articles 1907, alinéa 2, du code civil et L. 313-1, L. 313-2 et R. 313-1 du code de la consommation, le taux de l’intérêt conventionnel mentionné par écrit dans l’acte de prêt consenti à un consommateur ou un non-professionnel doit, comme le taux effectif global, sous peine de se voir substituer l’intérêt légal, être calculé sur la base de l’année civile. »
Quatre années plus tard, le 27 novembre 2019, les Hauts magistrats viennent nous expliquer que « pour obtenir l’annulation de la stipulation d’intérêts se référant à une année bancaire de trois-cent-soixante jours, l’emprunteur doit démontrer que les intérêts conventionnels, calculés sur cette base, ont généré à son détriment un surcoût d’un montant supérieur à la décimale prévue à l’article R. 313-1 du code de la consommation. »
S'il fallait simplifier la lecture de cette façon de voir de la Cour de cassation, on pourrait dire qu'un taux d'intérêt convenu entre les parties (d'où son nom “d'intérêt conventionnel“), au moment de la signature du contrat de prêt (c'est pour cela que cet intérêt s'appelle aussi “intérêt contractuel“), est juste même s'il est un peu faux, et ne peut donc encourir aucune sanction, même s'il est calculé sur la base d'une autre année que l'année civile.
Ainsi, pour les magistrats de la Première Chambre civile, cette solution peut avoir pour effet de faire échapper à toute sanction le prêteur qui calcule les intérêts conventionnels pour une échéance autre que mensuelle sur une base autre que l’année civile. Et ce, alors même qu’il est incontestable que le recours au diviseur 360 a une incidence économique pour le calcul de toute échéance couvrant une période inférieure à un mois, comme c’est fréquemment le cas en début de prêt.
Mathématiquement, l'usage d'un diviseur 360 aboutira à ce que l'intérêt de l'offre de prêt ne sera pas celui du contrat, de sorte qu'il paraît difficile de considérer qu'il y a eu rencontre des volontés selon le fondement du droit des obligations, et en pareil cas le contrat n'étant pas respecté, celui-ci devra être annulé.
Il s'agit là “d'une vision idyllique“ du sacro-saint droit des contrats, qui ne semble plus être celle des magistrats du Quai de l'Horloge depuis le 27 novembre dernier.
Y aurait-il donc désormais une “nouvelle norme“ pour le calcul des intérêts conventionnels qui s'imposerait à tous ? C'est-à-dire la possibilité pour un prêteur de ne pas respecter son contrat du moment que le taux d'intérêt qu'il applique, différent de celui convenu dans l'offre et accepté par l'emprunteur, pourra être faux, mais juste s'il reste dans une certaine “norme“ décidée par la Haute Cour.
Vu sous l'angle de l'évolution de la jurisprudence, il est indéniable qu'entre le 17 juin 2015 et le 27 novembre 2019, la Cour de cassation nous offre une vision totalement différente de la sanction à appliquer à l'encontre d'un établissement financier qui aurait calculé l'intérêt sur une année autre que l'année civile.
Pour autant, le droit des contrats étant à ce point bafoué et la protection des consommateurs foulée aux pieds, l'on peut se demander si des juges ou des magistrats n'auraient pas envie d'adopter une autre façon d'analyser un litige “dit lombard“, en d'autres termes de “faire de la résistance“, pour peu qu'un emprunteur leur explique qu'il a consenti à un taux dans son contrat et qu'il ne comprend pas pourquoi son taux pourrait néanmoins être “un peu faux“.
En fait, je vous ai livré ce long préambule pour en arriver à l'idée que la jurisprudence de la Cour de cassation ne s'appliquerait pas forcément de “manière automatique“ de sorte à être impérativement suivie par les juridictions des premiers et second degrés.
Ce qui m'a donné envie de vous parler d'évolution de la jurisprudence est la lecture ce matin de l'arrêt du 9 juin 2020 de la Cour d'appel de Besançon (n° 19/00153 - ci-annexé), où les magistrats nous expliquent clairement leur point de vue sur ce qu'est la “norme“ applicable une fois arrêtée la position de la Juridiction suprême, en répondant à l'argument du prêteur qui soutenait que « les juridictions ne peuvent s’appuyer sur une nouvelle norme issue d’un revirement de jurisprudence intervenu en 2013, soit postérieurement au contrat, surtout pour sanctionner la banque d’une manière excessive par rapport aux effets de l’erreur si elle était admise. »
Pour la Cour d'appel de Besançon, voici comment s'analyse la situation :
« il y a lieu de rappeler en premier lieu qu’une décision de justice, quand bien même elle émanerait de la cour de cassation, n’a pas d’effet normatif impératif sous peine de devenir un arrêt de règlement et, en second lieu, que les exigences de la sécurité juridique et de la protection des justiciables ne sauraient consacrer un droit acquis à une jurisprudence constante. Dès lors, la cour statuera au fonction des textes normatifs, éclairée par la jurisprudence évolutive et non impérative. »
Ainsi, dans le litige en question, les magistrats de Besançon pouvaient tout aussi bien ne pas suivre le point de vue des magistrats du Quai de l'Horloge dans leur décision du 27 novembre 2019, à savoir ne pas sanctionner un taux “légèrement faux“, différent du taux initialement convenu entre les parties. En l'espèce, ils ne l'ont pas fait... La question étant néanmoins de savoir de quelle manière l'emprunteur a présenté son argumentation pour être suffisamment convainquant.
Comme quoi le débat sur l'usage du diviseur 360 par un prêteur pour calculer les intérêts est loin d'être clos...