Pepsie, 8 juin 2024
« Il y a 10 ans, j'ai donné 130 000 euros à ma fille pour l'aider à garder sa maison lors de son divorce. J'ai maintenant 80 ans et je veux donner la même somme à mon fils. Comment dois-je procéder pour payer moins d 'impôts et de frais de notaire ? »
Le témoignage de Pepsie illustre bien à quel point une donation arrimée à un achat immobilier peut être un cadeau empoisonné. Et ce, non pas pour des raisons fiscales, mais sur l'aspect civil, c'est-à-dire sur le partage du futur héritage.
Chercher uniquement à limiter vos droits de donation n'est pas forcément un bon réflexe. « Il faut séparer deux problématiques, fiscale et civile », insiste la notaire parisienne Nathalie Couzigou-Suhas.
1. La logique fiscale : cumuler abattement et exonération... ou non
La logique fiscale, premièrement. Notre lectrice est consciente qu'à partir de 80 ans elle ne peut plus profiter de l'exonération de 31 865 euros pour dons d'argent en famille. Uniquement de l'abattement de 100 000 euros. Alors qu'avant la barre des 80 ans, vous pouvez effectivement cumuler l'abattement de 100 000 euros et l'exonération de 31 865 euros.
Sur l'aspect fiscal, Pepsie, nul besoin de tourner autour du pot : « Maintenant, elle a plus de 80 ans, fiscalement, elle ne bénéficie plus que de l'abattement de 100 000 euros. » Pas d'optimisation supplémentaire possible. Mais pour Nathalie Couzigou-Suhas ne réfléchir que d'un point de vue fiscal est un véritable piège.
Qui reçoit l'argent ? | Combien ? | Quand ? | Déclaration nécessaire ? |
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Présent d'usage | |||
Tous (quel que soit le lien de parenté) | Sans limite précise mais d'un montant raisonnable1 | Pour un événement ponctuel (anniversaire, Noël, mariage, naissance, etc.) | |
Exonération pour dons d'argent en famille | |||
Enfant, petit-enfant, arrière-petit-enfant2 | 31 865 € par bénéficiaire3 | Plafond valable sur 15 ans | |
Abattements de droits de donation | |||
Époux ou | 80 724 € | Plafond valable sur 15 ans | |
Enfant | 100 000 € pour chaque enfant | ||
Petit-enfant | 31 865 € pour chaque petit-enfant | ||
Arrière-petit-enfant | 5 310 € par bénéficiaire | ||
Frère ou sœur | 15 932 € par bénéficiaire | ||
Neveu ou nièce | 7 967 € par bénéficiaire |
1 Montant devant rester infime vis-à-vis des revenus ou du patrimoine de la personne qui donne.
2 Voire neveu ou nièce en l'absence de descendant.
3 Sous conditions : donateur de moins de 80 ans, et bénéficiaire majeur ou mineur émancipé.
2. La logique civile : quand une donation immobilière complique tous les calculs
« Sur l'aspect civil maintenant : vous avez le droit de servir vos enfants séparément », reconnaît Nathalie Couzigou-Suhas. Liberté totale de votre vivant. « Et le notaire n'a pas le droit de le signaler à l'autre enfant. » Dans le cas de Pepsie, la donation initiale pour aider sa fille à garder sa maison n'a pas à être signalée à son frère. Mais...
« Ce sera la valeur finale de la maison, au décès de la mère, qui sera prise en compte ! »
Notre lectrice Pepsie voudrait toutefois rétablir l'équité. Et elle a raison. Car ce qui peut rester secret du vivant sera dévoilé à l'heure de calculer et partager l'héritage. « Au décès, pour le règlement de la succession, on fait les comptes en prenant en compte les donations passées. » Là, si une donation était arrimée à un achat immobilier, ça se complique. « Le problème, c'est si la maison a pris beaucoup de valeur entre temps : sur l'aspect du partage civil, ce sera la valeur finale, au décès de la mère, qui sera prise en compte ! Cela peut compliquer fortement la succession. » La fille de Pepsie, si sa maison a pris beaucoup de valeur entre le moment de la donation et le moment du partage de l'héritage, pourrait voir sa part fondre à cause de cet achat... voire se retrouvée endettée vis-à-vis de son frère.
Immobilier : « Mes parents m'aident à acheter une maison. Quelle conséquence ? »
Quelle solution, dans le cas de Pepsie, maintenant qu'elle a aidé sa fille à acheter sa maison ? Comment compenser pour son fils et éviter les conflits futurs ? « L'idéal est de faire une donation-partage : là, les sommes sont figées pour tous au moment de la nouvelle donation », explique Nathalie Couzigou-Suhas. « Il n'est pas trop tard, dans son cas, pour faire une donation-partage : il est possible d'incorporer une donation antérieure dans une donation-partage. » Bref d'effectuer une donation à sa fille et à son fils en comptant ce qui a déjà été donné à sa fille. Histoire de remettre les comptes à zéro.
« Alors, oui, le seul hic, c'est que le fisc prélève 2,5% sur les 130 000 euros de régularisation pour son fils », prévient la notaire parisienne. C'est le tarif, dans un tel cas de figure : « 2,5% de droit de partage en cas d'incorporation de ce qui a déjà été donné ».
« Oui, c'est coûteux »
« Oui, c'est coûteux », coupe Nathalie Couzigou-Suhas, « mais ce sera sûrement moins coûteux que les frais de justice en cas de problème latent. »
Ce qu'il faut savoir avant toute donation pour l'achat d'un appartement ou d'une maison
Le conseil de la notaire. « Sur l'aspect civil, et non fiscal, faut garder à l'esprit que donner un bien immobilier ou des sommes pour acquérir un bien immobilier complique toujours les successions futures, car c'est la valeur immobilière au moment de la succession qui sera prise en compte pour le partage de l'héritage. »