Jurisprudence
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À propos des clauses abusives et du “déséquilibre significatif“
Le sujet fait couler beaucoup d'encre sur notre Forum, depuis quelque temps, et commence à agiter les prétoires.
Et le sujet n'est pas nouveau, à tel point que deux étudiants préparant leur Doctorat ont rédigé chacun une thèse sur ces thématiques, l'un en 2017, l'autre en 2018.
Je vous en donne les titres, vous laissant le soin de les retrouver par vous-mêmes (à cause du copyright, je ne peux les diffuser) :
- « LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF » - Université de Montpellier - Présenté par Sibylle CHAUDOUET le 26 novembre 2018.
- « LES CLAUSES CRÉANT UN DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF » - Université de La Réunion - Rédigé par Samuel FOURCADE - Année 2016-2017.
Je ne peux résister au plaisir vous retranscrire les premiers mots de l'un de ces deux étudiants, véritables spécialistes de la question, qui ont sonné à mes oreilles comme une poésie :
« Le déséquilibre significatif… trois mots à la « résonance émotive »2 forte. Le déséquilibre significatif a depuis toujours divisé, et divise encore, affublé de tous les qualificatifs : tantôt s’est-on demandé en effet s’il n’était qu’« un simple sabre de bois »3, un « tigre de papier »4 ou encore un « gadget servant d’écran de fumée à la suppression de la cause »5 ; tantôt a-t-on voulu y voir une « pure logomachie, une contradiction dans les termes »6, ou dénoncer « une théorie aussi fuyante et nourrie d’un esprit faux que celle des clauses abusives »7 ; tantôt encore l’a-t-on perçu comme un « monstre juridique »8, « une machine à hacher le droit », une « bonne à tout faire »9, voire « le symbole tragique de la fausse bonne idée »10.
Alors, « peut-être les Pythies avaient-elles raison. Pas celles d’Apollon à Delphes ou Didymes, aux jolis noms oubliés, mais d’autres plus récentes qui, aux temps anciens où se discutait la loi de janvier 1978 », la première loi sur les clauses abusives, prédisaient que cette législation résolument avant-gardiste « allait provoquer le saccage du Code civil »11, en particulier dans l’un de ses piliers les plus sanctuarisés : la force obligatoire du contrat. Ainsi craignait-on que la sacramentelle « parole donnée » soit malmenée par cette traque sans relâche, au sein des contrats, de la moindre de leurs clauses déséquilibrées ; « tout se passe comme si on ne supportait plus les clauses convenues entre les parties. Pacta sunt servandaŗ… surtout pas, on n’en veut plus ! »12 »
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1 Discours prononcé à Saint-Martin par le Chancelier H.-F. D’AGUESSEAU, La science du magistrat, 1709.
2 Selon l’expression de G. TUSSEAU, « Critique d’une métanotion fonctionnelle. La notion (trop) fonctionnelle de notion fonctionnelle », RFDA, 2009, p. 641 ; V. égal. É. NICOLAS, « Répétabilité et répétition des énoncés normatifs : la force intercitationnelle dans le langage juridique, comme force normative », La force normative. Naissance d’un concept,
C. THIBIERGE (dir.), LGDJ, 2009, p. 70 : « Comment se peut-il qu’avec des mots on crée la force de toute pièce ? Serait-ce cet effet d’insistance, de redondance et de tautologie, plus précisément de Ŗrésonance vibratoire obtenue par l’écho des voix dans le refrain en chœur ou canon issu de la répétition qui la redouble et l’assoie ? Serait-ce cet effet de polyphonie ? »
3 M. CHAGNY, « Le nouveau droit de la concurrence : quel impact sur les relations contractuelles ? », CCC, 2008, n° 12, alerte 70.
4 M. CHAGNY, « L’article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce entre droit du marché et droit commun des obligations », D. 2011, p. 392.
5 R. AMARO, « Le déséquilibre significatif en droit commun des contrats ou les incertitudes d’une double filiation », CCC, 2014, n° 8-9, étude 8.
6 J.-P. CHAZAL, « Clauses abusives », Rép. dr. civ., Dalloz, n° 1.
7 P. DELEBECQUE, « Article 1168 : clause privant de sa substance l’obligation essentielle du contrat », RDC, 2015, n° 3, p. 759.
8 C. LUCAS DE LEYSSAC et M. CHAGNY, « Le droit des contrats, instrument d’une forme nouvelle de régulation économique ? », RDC, 2009, n° 3, p. 1268.
9 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Première sanction du déséquilibre significatif dans les contrats entre professionnels : l’article L. 442- 6, I, 2° du Code de commerce va-t-il devenir Ŗune machine à hacher le droitŗ ? », RLC, 2010, n° 23.
10 P. STOFFEL-MUNCK, « Les clauses abusives : on attendait Grouchy… », Dr. et patr., 2014, n° 240.
11 C. BRASSEUR, « Avancées obtenues du fait des actions judiciaires des associations de consommateurs », De l’abus dans les contrats, Colloque du 20 mars 2010 de la Commission consommation-logement du Syndicat des Avocats de France, p. 83.
12 J. MAURIO, « Clauses abusives, clauses pénales… ou retour à la case départ ou au Moyen-Âge ? », Gaz. Pal., 1983, p. 235.
Le sujet fait couler beaucoup d'encre sur notre Forum, depuis quelque temps, et commence à agiter les prétoires.
Et le sujet n'est pas nouveau, à tel point que deux étudiants préparant leur Doctorat ont rédigé chacun une thèse sur ces thématiques, l'un en 2017, l'autre en 2018.
Je vous en donne les titres, vous laissant le soin de les retrouver par vous-mêmes (à cause du copyright, je ne peux les diffuser) :
- « LE DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF » - Université de Montpellier - Présenté par Sibylle CHAUDOUET le 26 novembre 2018.
- « LES CLAUSES CRÉANT UN DÉSÉQUILIBRE SIGNIFICATIF » - Université de La Réunion - Rédigé par Samuel FOURCADE - Année 2016-2017.
Je ne peux résister au plaisir vous retranscrire les premiers mots de l'un de ces deux étudiants, véritables spécialistes de la question, qui ont sonné à mes oreilles comme une poésie :
« Le déséquilibre significatif… trois mots à la « résonance émotive »2 forte. Le déséquilibre significatif a depuis toujours divisé, et divise encore, affublé de tous les qualificatifs : tantôt s’est-on demandé en effet s’il n’était qu’« un simple sabre de bois »3, un « tigre de papier »4 ou encore un « gadget servant d’écran de fumée à la suppression de la cause »5 ; tantôt a-t-on voulu y voir une « pure logomachie, une contradiction dans les termes »6, ou dénoncer « une théorie aussi fuyante et nourrie d’un esprit faux que celle des clauses abusives »7 ; tantôt encore l’a-t-on perçu comme un « monstre juridique »8, « une machine à hacher le droit », une « bonne à tout faire »9, voire « le symbole tragique de la fausse bonne idée »10.
Alors, « peut-être les Pythies avaient-elles raison. Pas celles d’Apollon à Delphes ou Didymes, aux jolis noms oubliés, mais d’autres plus récentes qui, aux temps anciens où se discutait la loi de janvier 1978 », la première loi sur les clauses abusives, prédisaient que cette législation résolument avant-gardiste « allait provoquer le saccage du Code civil »11, en particulier dans l’un de ses piliers les plus sanctuarisés : la force obligatoire du contrat. Ainsi craignait-on que la sacramentelle « parole donnée » soit malmenée par cette traque sans relâche, au sein des contrats, de la moindre de leurs clauses déséquilibrées ; « tout se passe comme si on ne supportait plus les clauses convenues entre les parties. Pacta sunt servandaŗ… surtout pas, on n’en veut plus ! »12 »
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1 Discours prononcé à Saint-Martin par le Chancelier H.-F. D’AGUESSEAU, La science du magistrat, 1709.
2 Selon l’expression de G. TUSSEAU, « Critique d’une métanotion fonctionnelle. La notion (trop) fonctionnelle de notion fonctionnelle », RFDA, 2009, p. 641 ; V. égal. É. NICOLAS, « Répétabilité et répétition des énoncés normatifs : la force intercitationnelle dans le langage juridique, comme force normative », La force normative. Naissance d’un concept,
C. THIBIERGE (dir.), LGDJ, 2009, p. 70 : « Comment se peut-il qu’avec des mots on crée la force de toute pièce ? Serait-ce cet effet d’insistance, de redondance et de tautologie, plus précisément de Ŗrésonance vibratoire obtenue par l’écho des voix dans le refrain en chœur ou canon issu de la répétition qui la redouble et l’assoie ? Serait-ce cet effet de polyphonie ? »
3 M. CHAGNY, « Le nouveau droit de la concurrence : quel impact sur les relations contractuelles ? », CCC, 2008, n° 12, alerte 70.
4 M. CHAGNY, « L’article L. 442-6, I, 2°, du code de commerce entre droit du marché et droit commun des obligations », D. 2011, p. 392.
5 R. AMARO, « Le déséquilibre significatif en droit commun des contrats ou les incertitudes d’une double filiation », CCC, 2014, n° 8-9, étude 8.
6 J.-P. CHAZAL, « Clauses abusives », Rép. dr. civ., Dalloz, n° 1.
7 P. DELEBECQUE, « Article 1168 : clause privant de sa substance l’obligation essentielle du contrat », RDC, 2015, n° 3, p. 759.
8 C. LUCAS DE LEYSSAC et M. CHAGNY, « Le droit des contrats, instrument d’une forme nouvelle de régulation économique ? », RDC, 2009, n° 3, p. 1268.
9 M. BEHAR-TOUCHAIS, « Première sanction du déséquilibre significatif dans les contrats entre professionnels : l’article L. 442- 6, I, 2° du Code de commerce va-t-il devenir Ŗune machine à hacher le droitŗ ? », RLC, 2010, n° 23.
10 P. STOFFEL-MUNCK, « Les clauses abusives : on attendait Grouchy… », Dr. et patr., 2014, n° 240.
11 C. BRASSEUR, « Avancées obtenues du fait des actions judiciaires des associations de consommateurs », De l’abus dans les contrats, Colloque du 20 mars 2010 de la Commission consommation-logement du Syndicat des Avocats de France, p. 83.
12 J. MAURIO, « Clauses abusives, clauses pénales… ou retour à la case départ ou au Moyen-Âge ? », Gaz. Pal., 1983, p. 235.
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