Bonjour,
Je rebondis sur les messages 537 et 538 de Jurisprudence dans lequel il met en exergue l'insécurité juridique liée aux changements de position brutaux des juridictions, et plus précisément de la CA d'Aix-en-Provence.
Pour rappel, cette Cour d'Appel jugeait jusqu'à cet arrêt du 11 octobre 2018 que les actions en déchéance et en nullité étaient distinctes, qu'elles n'avaient pas les mêmes fondements juridiques, qu'elles pouvaient se cumuler sans se contredire.
Dans un arrêt du 5 juillet 2018, elle avait même considérée, en toute logique, que l'emprunteur professionnel ne pouvait bénéficier d'un régime de protection plus favorable (la nullité de l'article 1907 du Code Civil) que celui qui serait accordé à l'emprunteur consommateur :
"Attendu que M. X et M Y rappellent que la mention d’un TEG erroné dans une offre de prêt peut être sanctionnée par la nullité de la stipulation de l’intérêt contractuel sur le fondement de l’article 1907 du code civil et observent que l’argumentation de la banque revient à considérer qu’un sort plus favorable doit être réservé à un emprunteur professionnel,
lequel est exclu du champ d’application des dispositions du code de la consommation, plutôt qu’à un emprunteur profane ; qu’ils affirment disposer des deux actions en nullité de la stipulation d’intérêt et en déchéance des intérêts ;"
Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 8e chambre c, 5 juillet 2018, n° 16/04686)
Dans un arrêt du 27 septembre 2018, voici ce que cette même Cour avait jugé :
« Les actions en nullité de la stipulation de l’intérêt conventionnel et en déchéance du droit aux intérêts sont distinctes ; elles n’ont ni la même finalité, ni le même régime juridique. Dans le premier cas, l’action tend à sanctionner la méconnaissance d’une condition de formation de la clause d’intérêt, dans le second, elle sanctionne l’inexactitude d’une information précontractuelle due à l’emprunteur. En outre, les sanctions prévues, qui peuvent se chevaucher sans se contredire, n’ont pas les mêmes caractères,
dans un cas, la substitution de plein droit du taux de l’intérêt légal au taux conventionnel par l’effet de l’annulation de la clause d’intérêt, dans l’autre, la déchéance facultative du droit aux intérêts soumise à l’aléas du pouvoir discrétionnaire reconnu au juge.
Suivre la thèse de la Caisse d’épargne aurait pour conséquence paradoxale de restreindre les droits de l’emprunteur dans le cas d’un prêt immobilier soumis aux dispositions protectrices du code de la consommation.
Il en résulte que les époux X sont fondés à agir, en vertu des articles L 314-5 du code de la consommation et 1907 du code civil, en nullité des clauses d’intérêt des conventions de prêt. »
Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, 8e ch. b, 27 sept. 2018, n° 17/15896.
2 semaines plus tard, la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence change brutalement de direction :
«
Aux termes de l’article L.312-33 du code de la consommation devenu l’article L.341-34, le prêteur qui ne respecte pas l’une des obligations prévues à l’article L.312-8 ancien devenu l’article L. 313-25 du même code, lequel renvoie, concernant le TEG, aux prescriptions de l’article L.313-1 du même code dans sa rédaction applicable au litige, pourra être déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge.
Ce texte spécial déroge nécessairement, pour les prêts immobiliers régis par le code de la consommation, aux dispositions générales posées par l’article 1907 du code civil,
lequel sanctionne
par la nullité l’absence d’indication du taux d’intérêt dans un écrit.
Dès lors, Z X et B Y ne sauraient, sauf à vider de toute substance les dispositions d’ordre public des articles L312-1 et suivants du code de la consommation,
dans leur rédaction applicable au litige, disposer d’une option entre nullité ou déchéance privant le juge de la possibilité de prévoir une sanction proportionnée à la gravité de l’erreur, une telle option ne participant pas à l’objectif recherché par le législateur, à savoir donner au TEG une fonction comparative, et à la poursuite, dans le cas d’une violation de ces prescriptions, d’une sanction dissuasive mais proportionnée. »
Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, 8e ch. b, 11 oct. 2018, n° 16/13204
Curieusement, la Cour d'Appel de Paris utilse exactement le même texte.
Pour preuve, voici l'extrait d'un arrêt du 1er juin 2018 de la Cour d'Appel de Paris :
« Considérant que le CFF conclut à l’irrecevabilité d’une telle prétention au regard des dispositions de l’article L312-33 du code de la consommation, qui ne sanctionne que par une déchéance du droit aux intérêts, dans une proportion fixée par le juge, l’irrégularité du TEG figurant dans l’offre de prêt ;
Considérant qu’aux termes de l’article L312-33 du code de la consommation, dans sa rédaction alors en vigueur, le prêteur qui ne respecte pas l’une des obligations prévues à l’article L312-8, lequel renvoie, concernant le TEG, aux prescriptions de l’article L313-1 du même code en définissant le contenu, pourra être déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge ;
Considérant que ce texte spécial déroge nécessairement, pour les prêts immobiliers régis par la loi Scrivener, aux dispositions générales posées par l’article 1907 du code civil,
lequel sanctionne par la nullité l’absence de prescription d’un taux d’intérêt et, par extension d’un TEG, dont l’irrégularité
éventuelle est assimilée à une absence ;
Considérant ainsi que
l’emprunteur ne saurait, sauf à vider de toute substance les dispositions d’ordre public des articles L312-1 et suivants du code de la consommation, disposer d’une option entre nullité ou déchéance ;
Qu’une telle option, outre qu’elle priverait le juge de la possibilité de prévoir une sanction proportionnée à la gravité de l’erreur en contradiction avec les récentes directives européennes à la lumière desquelles les textes nationaux doivent s’appliquer »
Cour d'Appel de Paris, pôle 5 - ch. 6, 1er juin 2018, n° 16/15927
Pour ma part, outre l'inconstance des juridictions dans leurs décisions, j'ai le sentiment que la Cour d'Appel de Paris fait la pluie et le beau temps….
Même si la position de la Cour de Cassation n'est pas respectée (ce qu'elle n'ignore pas venant de la CA de Paris), tout le monde suit….
Ce n'est plus la Justice, mais un jeu de loterie!
Espérons qu'un jour un journaliste mette le doigt sur cette situation inacceptable pour un justiciable Français!
Bon dimanche à vous