Attention : les mutuelles se rebiffent ! Depuis quelques années, leurs fonds euros, souvent historiques, s'imposent dans les classements des assurances vie. En 2024, pas moins de 6 ont intégré le top 10 : Ampli (3,75%, en net de frais de gestion mais avant prélèvements sociaux et fiscaux), La France Mutualiste (3,6%), Garance et la Carac (3,5%), la Mif (3,35%) et la MACSF (3,1%).
Et encore, la Matmut et la Maif sont proches, avec 3%. Un tel « tir groupé » était difficile à imaginer, il y a encore une décennie. En effet, le monde mutualiste conserve une image « sage », « traditionnelle », voire « orthodoxe ». Cette réputation se justifie-t-elle encore ? C'est toute la question.
Assurance vie : tous les taux 2024, du meilleur au pire
Être dans la course
Car de nombreux organismes opèrent de profondes transformations. Côté gestion, le « bon père de famille » devient un papa dynamique ! Actions, immobilier, non-côté... La diversification est de mise, apportant une part des performances. Et pour atteindre (et se maintenir) aux sommets, les mutuelles n'hésitent pas, si nécessaire, à puiser dans leurs provisions.
Dans le même temps, la conquête des épargnants s'organise. De nombreuses institutions participent à la course à la communication qui anime l'ensemble du marché. La raison est simple : avec la hausse des taux d'intérêt, de nouveaux capitaux permettent d'accumuler des obligations rémunératrices, moyennant à la hausse le rendement des fonds.
« Les mutuelles ont besoin de collecter de l'argent »
« Les mutuelles sont des actrices comme les autres, dans un marché concurrentiel : elles ont besoin de collecter de l'argent », explique Philippe Crevel, économiste et directeur du Cercle de l'Épargne, think tank dédié aux sujets financiers. Or les clients comparent beaucoup plus qu'avant les performances, conditions... « Tout se regarde, des fintechs aux organismes plus traditionnels. » Il n'est donc pas surpris de voir les efforts pour « attirer le chaland ».
Ne pas décrocher
Comment sort-on du lot ? Être parmi les meilleurs, le faire savoir, appuyer sa marque... La tactique, typique du côté des assureurs, banques et des contrats en ligne, se répand de plus en plus chez les mutuelles. « On ne les aurait jamais imaginées avoir un marketing aussi punchy », sourit Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du site Good Value for Money. « Elles ont viré leur cuti, et y vont vraiment ! » Il n'y a pas si longtemps, les messages se focalisaient sur l'institution et l'esprit mutualiste. Désormais, les directoires parlent ouvertement de « stratégie de développement », de « tactique commerciale »...
Le classement des fonds euros est un outil important de promotion. « Notre taux nous permet de nous rendre plus visibles, de faire connaître la marque Carac », explicite Myriam Souveton, directrice marketing, digitalisation et innovation de l'organisme. « Cela démontre notre savoir-faire dans la gestion de l'épargne sécuritaire. »
« Vouloir afficher un taux élevé comporte une dimension marketing : c'est l'un de nos principaux arguments de vente »
D'ailleurs, on peut voir se multiplier les campagnes de publicité mutualistes, affichant en grosses lettres les rendements annuels ! Le son de cloche est le même chez Garance. « Vouloir afficher un taux élevé comporte une dimension marketing : c'est l'un de nos principaux arguments de vente », confiait récemment à Moneyvox Guillaume Derien, responsable des investissements.
« Nous ne sommes pas des cow-boys »... Les secrets du fonds euros d'assurance vie le plus performant
Cela semble essentiel, alors que les contrats récents affichent les premiers résultats « canon » de leurs nouveaux actifs. « Le but, c'est de ne pas être décrochés, annonce Olivier Sentis, directeur général de la Mif. Ne pas afficher un rendement trop éloigné des produits court terme, comme les livrets, et long terme, les comptes à terme et les nouveaux fonds. » En clair : rester dans l'élan du marché.
Haro sur les frais
La petite musique des taux annuels est devenue un refrain classique. Désormais, pour investir, les particuliers attendent plus. La mode est aux « promotions » et offres « exceptionnelles ». Elles concernent notamment les frais sur versements. Et les mutuelles ne font pas semblant !
Depuis quelques années, beaucoup expérimentent des opérations à 0% de frais d'entrée : la MMA une fois, la Matmut à trois reprises... Très actives dans le domaine, la MACSF et la Mif proposent actuellement ce « cadeau » pour tout versement, respectivement jusqu'au 30 septembre et au 15 novembre.
Frais de l'assurance vie : quels sont les coûts à prévoir ?
Début 2025, la Maif a même surpris en abandonnant ce prélèvement à l'entrée. Alors que c'est déjà la norme chez la Carac et Ampli, on peut imaginer que d'autres vont suivre. « Nous concernant, c'est une question d'équité et de transparence, détaille Myriam Souveton de la Carac. Chez les banquiers et assureurs, ces frais peuvent se réclamer. Ce n'est pas notre philosophie. » La bascule a eu lieu en 2021. « À ce moment-là, si l'on partait avec 2% de frais et qu'on obtenait un rendement de 1,5%, il fallait du temps pour récupérer sa mise de départ. Nous voulions qu'un euro confié soit un euro investi. » D'ailleurs, le 0% a depuis été appliqué aux anciens contrats Carac.
« Nous voulions qu'un euro confié soit un euro investi »
Si la Mif joue régulièrement le jeu, Olivier Sentis signale néanmoins que cette ponction avait des vertus en période de taux bas. « Cela a beaucoup servi à piloter le fonds euros, quand ce n'était pas la meilleure période pour collecter. » Une barrière « limitant la venue de clients un peu opportunistes ». Mais le contexte a changé.
Stimuler les clients
Pourquoi ne pas rendre la mesure permanente ? Une question de marketing ! « Il faut un storytelling pour animer le réseau, attirer de nouveaux adhérents, susciter l'intérêt », justifie le DG de la Mif. À chaque campagne, il confirme que « la réponse des investisseurs est positive ». La promotion se reproduit donc encore et encore. « On ne veut pas décevoir les gens en expliquant que les super offres ne sont plus disponibles. » Il ne le cache pas : « on peut s'attendre à ce que, tant que les obligations seront attractives, il y ait des périodes à taux 0 [sur les frais de versement, NDLR] ».
La MACSF adopte la même tactique : activer régulièrement des campagnes « sans frais » : « C'est une technique d'animation commerciale pour dynamiser la collecte », confirme Guillaume Rosenwald, directeur général de MACSF Epargne Retraite. Mais ce n'est pas non plus le jackpot assuré. « Le résultat dépend des circonstances. La première fois que l'on a proposé cette offre sur notre ancien produit monosupport RES, nous avons reçu des versements colossaux. » Désormais, le résultat est jugé « moins spectaculaire », même s'il stimule tout de même les investissements.
Guillaume Rosenwald s'en étonne un peu, car ces frais ne dépassent pas, dans les faits, 1%. « Ceux qui souhaitent verser une somme importante peuvent être tentés de patienter jusqu'à une promotion. Mais perdre plusieurs mois de rentabilité pour économiser 1%, ce n'est pas très rationnel ! » Cependant offrir du 0% suscite le débat dans les conseils d'administration. Alors que les clients ont jusque-là payé des frais, est-ce vraiment mutualiste ? « Oui, car c'est à l'avantage de tous les sociétaires, assure Guillaume Rosenwald. Cela permet de faire rentrer de bonnes obligations dans le portefeuille d'actifs. Et donc d'assurer une base de rémunération de bon niveau pour les 10 ans à venir. » D'ailleurs, il souligne que l'offre concerne aussi les anciens clients !
La fête aux boosts de rendement !
Un autre phénomène a pris de l'ampleur : les bonus. Évidemment, c'est un autre appel clair aux capitaux. Et là encore, les mutuelles ne lésinent pas sur les moyens. En 2024, la Carac a ainsi offert une bonification de 2,6% pour les versements de l'année. Soit, avec le taux final de 3,5%, un rendement total de 6,1% pour les sommes concernées par la promo.
« Il ne s'agissait pas d'une opération flash ! »
Début 2025, la Matmut garantissait 5% annuels pour les investissements du premier semestre. Actuellement, la Mif domine le match des boosts mutualistes, avec +1,35% pour les fonds apportés de juin à novembre. Sachant que le taux 2025 devrait être « conforme » à celui de 2024 (3,35%), cela correspondrait à 4,7%.
Et ce ne sont que des exemples : beaucoup surfent sur cette vague. Mais Myriam Souveton conteste l'idée que les 2,6% étaient un « coup » commercial. « Il ne s'agissait pas d'une opération flash ! » Elle indique que la Carac voulait plutôt interpeller les prospects, leur faire découvrir « la solidité d'un rendement dans le haut du panier ». Le pari semble réussi : la collecte de l'année a été « importante ».
« Tant que les taux seront attractifs, on continuera à accueillir les clients à bras ouverts »
Et nos interlocuteurs ne nient pas que les bonus pourraient se poursuivre. « Tant que les taux seront attractifs, on continuera à accueillir les clients à bras ouverts », martèle Olivier Sentis. D'ailleurs, l'économiste Philippe Crevel glisse que ces offres peuvent même se négocier. « C'est devenu un marché où l'on a une marge de négociation. Selon le volume de capitaux avec lequel on arrive, on peut, dans certaines conditions, obtenir son propre taux boosté... »
Modernisation globale
Au-delà des promotions, les mutuelles ont bien conscience que le monde de l'assurance vie évolue. Il est nécessaire de s'adapter à de nouvelles réalités : numérisation, offre d'unités de compte... Il y a 8 ans, la Mif avait fermé son contrat monosupport au profit d'un multisupport. Pour 2024, l'institution historique des cheminots a pris une décision radicale : différencier la rémunération de son actif général. 2,65% pour l'ex « mono », contre 3,35% pour le « multi ». En quelque sorte, on peut le voir comme un « bonus » invitant à basculer vers la nouvelle offre. Le marketing bat d'ailleurs son plein pour accompagner la migration : courriers, mails...
Un enjeu important, sachant que le monosupport concerne encore 60% des adhérents. Bien sûr, Olivier Sentis reconnaît également que les UC sont bien « plus rentables » pour les gestionnaires. Mais en même temps, il certifie que c'est « une offre nécessaire » pour séduire de nouveaux assurés. Et le directeur général balaye l'idée de trop en faire. « On ne veut pas être dans le pousse-au-crime, avec des primes en cas de détention de 80% d'UC. » Le portefeuille se veut d'ailleurs « resserré », avec une sélection « pédagogique » de produits (ETF, SCPI, OPCVM, produits structurés...), pour ne pas « perdre les épargnants ». Et pour finir de convaincre, la Mif ajouter un petit booster : pour ceux qui misent sur des UC lors du transfert, l'opération est bonifiée de 1%.
« Nous sommes capables de créer des UC dédiées sur des thématiques d'actualité »
Le sujet est également au cœur de la stratégie de la Carac. L'ancienne Caisse des anciens combattants développe même ses propres véhicules (immobilier, private equity...). Cet été est même apparu un véhicule porté sur la défense et la sécurité européennes, géré par Tikehau. « Cela montre que nous sommes capables de créer des UC dédiées sur des thématiques d'actualité, qui font écho à notre ADN et nos valeurs. »
Enfin, l'heure est à la numérisation. Déjà concrétisée chez Garance, la souscription 100% en ligne est envisagée par tout le monde. « Pour rester dans la course, pour adresser les nouvelles clientèles des contrats en ligne, on se doit d'être à la pointe de la technologie », murmurent de nombreux gestionnaires. Ce n'est sans doute pas un hasard si certaines mutuelles rénovent ou déménagent leurs sièges sociaux, évoquant « l'amélioration de la relation clientèle » ou l'apparition de « l'intelligence artificielle »...
Virage à prendre
Concurrence, promotions, visibilité... Il y a peu, ces mots semblaient incompatibles avec la mutualité. Ce serait oublier que « le monde change ».
« Nous avons des principes de solidarité, de mécanismes démocratiques, mais il nous faut nous adapter à la réalité du marché »
« Nous avons des principes de solidarité, de mécanismes démocratiques, mais il nous faut nous adapter à la réalité du marché », resitue Olivier Sentis de la Mif. Pour ne pas manquer le train. « On se doit de continuer à avancer. Attirer les jeunes générations, avec un marketing plus précis, des offres différentes : moins de frais, plus d'unités de compte, des rémunérations boostées... »
De nombreux organismes suggèrent une « culture nouvelle ». « Nous faisons face à un virage : faire le choix entre vivoter ou nous développer. Se laisser porter ou évoluer », nous confient en off des dirigeants de mutuelles. Ils attribuent notamment ce dynamisme à l'arrivée chez certains de « présidents originaires du monde assurantiel ». « Tout le monde bouge, cela crée une émulation sur le marché », chuchotent de hauts cadres du secteur.
« Parier sur les contrats des mutuelles, c'est le meilleur choix »
Un discours qui convainc les experts Cyrille Chartier-Kastler et Philippe Crevel. « Parier sur les contrats des mutuelles, c'est le meilleur choix », recommandent-ils. Car en plus de « bons rendements », désormais, « elles lèvent leurs barrières ».
S'oriente-t-on vers la fin d'un modèle historique ? Olivier Sentis n'est pas d'accord. « Toutes ces valeurs n'étaient pas très développées, c'est vrai. Mais elles font bon ménage. Il faut sortir les mutuelles de la naphtaline et les projeter dans l'avenir. » La révolution ne fait peut-être que commencer.