Quelle mouche a piqué Allianz ? Lancer, ce mardi 26 novembre, un « fonds croissance », un support s'inscrivant dans la méconnue famille des placements eurocroissance. En 2024. Est-ce 10 ans trop tard ? En effet, voici très exactement 10 ans, en 2014, était annoncé le « troisième pilier de l'assurance vie » apparu à la fin de l'automne au Crédit Agricole et chez Axa (via l'association Agipi), quelques semaines avant Generali.
Le projet initial d'un « troisième pilier de l'assurance vie »
Un an plus tôt, le ministre de l'Economie de l'époque, Pierre Moscovici, se voulait très ambitieux : « Nous allons créer un nouveau produit, l'eurocroissance, qui offrira à la fois une garantie et un meilleur rendement » que les fonds en euros. Réunir le meilleur du fonds en euros, sa rassurante garantie en capital, et le meilleur de l'unité de compte, son alléchante rentabilité à long terme : tel était le pari. Un placement « gagnant-gagnant » dans l'esprit du ministre devenu président de la Cour des comptes. Sauf qu'à l'été 2015, déjà, le gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau réclamait des « décisions rapides » pour éviter le « sentiment d'échec » de l'eurocroissance.
Si bien que lorsque MoneyVox a eu l'idée saugrenue de consacrer un article d'anniversaire - les 10 ans, tout de même ! - à l'eurocroissance, nous avons perçu beaucoup d'étonnement à l'autre bout du fil. Cet anniversaire-là, personne n'y avait pensé... Et pourtant, 10 ans plus tard, l'idée du 3ème pilier ne convainc certes plus personne mais les fonds croissance et eurocroissance voient peut-être l'horizon d'une seconde jeunesse prometteuse.
Pourquoi l'eurocroissance n'a jamais réellement décollé
Trop compliqué. « Le produit était trop complexe et c'était une véritable barrière à son développement. C'était un produit d'actuaire ! » lance Gildas Robert, lui-même actuaire, du nom de ces spécialistes en statistiques des risques économiques et financiers. Gildas Robert, directeur exécutif au sein d'Accenture, estime que les fonds eurocroissance étaient « à la fois très difficile à comprendre pour le client mais aussi pour les conseillers » : « Forcément, s'il n'a pas cerné le fonctionnement, le conseiller ne va pas pousser ce placement. »
« À la fois très difficile à comprendre pour le client mais aussi pour les conseillers »
Au moment du lancement, un fonds eurocroissance mixait provisions mathématiques et provisions de diversification et lire le fascicule du produit vous donnait l'impression de tenter de déchiffrer un cours de maths appliquées. Ce mécanisme d'origine a été envoyé à la corbeille.
Fonds croissance ou eurocroissance, c'est quoi ?
Faisons simple. Aujourd'hui, l'eurocroissance ressemble à un fonds en unité de compte (UC) : vous achetez un nombre de parts. Et ces parts gagnent ou perdent en valeur au fil des ans. Une différence d'importance avec une UC : à l'échéance choisie (8 ans minimum, parfois 10 ans ou plus), vous êtes sûr de retrouver votre mise. A 100%, pour un fonds eurocroissance, ou une partie de votre mise, 80% par exemple, pour un fonds croissance.
Trop peu rentable. Encore plus handicapant que la complexité, quand on parle de produits financiers : l'absence de rentabilité évidente. Non pas que les rendements des fonds eurocroissance aient tous été catastrophiques, mais ils ont peiné à afficher des taux significativement supérieurs aux fonds en euros. En 2020, dernière année de rendements des fonds eurocroissance première génération, les taux affichés allaient de –1,18% à 3,72%, pour 1,28% en moyenne sur les fonds en euros. Pas l'assurance tous risques de l'épargne...
(*) il s'agit des taux moyens de rémunération des fonds en euros calculés chaque année par l'ACPR.
© MoneyVox« Quand vous lancez un tel placement dans un période où les taux sont totalement nuls... », rappelle Cyril Blesson, fondateur des Cahiers de l'épargne-Pair Conseil : au milieu des années 2010, tous les taux se sont en effet englués petit à petit. Le Livret A est pour rappel tombé à 0,5% et certains livrets bancaires affichaient un piteux 0,01%. « Il a effectivement été lancé au plus mauvais moment, en 2014 », confirme Gildas Robert. « Si vous lancez de l'eurocroissance dans un environnement de taux nuls, vous devez quasiment tout investir en obligataire [les emprunts aux entreprises et Etats, NDLR]. Vous avez les inconvénients du produit sans ses avantages. La remontée des taux était donc un élément indispensable au rebond. »
« La remontée des taux était donc un élément indispensable au rebond »
Qui en propose ? Pour combien de clients ?
Les assureurs ne sont jamais très volontaires pour dévoiler leurs statistiques. Cette frilosité à communiquer est encore plus nette pour l'eurocroissance. MoneyVox a interrogé BNP Paribas Cardif, Crédit Agricole Assurances (Spirica et Predica), Generali, Allianz, Axa et Abeille Assurances sur leurs encours et nombre de contrats ou clients en eurocroissance. En une semaine, seuls Generali et Axa ont répondu.
Sur les 9,8 milliards d'euros investis en eurocroissance, selon France Assureurs, à fin juin 2024, Generali pèse 7% du marché, avec 695 millions d'euros. L'assureur compte 23 694 contrats investis en fonds croissance, dont 9 490 contrats investis sur le dernier né de cette famille de fonds, Générations Croiss@nce durable. Sans prendre en compte le contrat Agipi, Axa France annonce 250 000 clients ayant investi sur son fonds croissance. Pour 4,9 milliards d'euros.
Moteurs du marché en 2014, BNP Paribas Cardif et Predica ont cessé de commercialiser leurs fonds eurocroissance. Tout comme l'Afer dès 2020. En revanche, Allianz croit encore au potentiel de ce placement puisque l'assureur annonce ce mardi 26 novembre le lancement d'un nouveau fonds croissance.
Les statistiques de France Assureurs témoignent d'un frémissement, même si cela reste encore peu à l'échelle de l'assurance vie, juge Cyril Blesson. De 3,3 milliards d'euros fin 2020, les encours en eurocroissance sont passés à quasi 9 milliards fin 2023 et donc près de 10 milliards courant 2024.
Pourquoi l'eurocroissance va (peut-être) décoller
+34% en 2023. Et 2024 s'annonce sous les mêmes auspices : l'argent investi sur cette famille de fonds progresse pour la première fois de façon significative depuis 2020 et l'application de la loi Pacte. Qu'est-ce qui a changé la donne ? Deux choses.
Plus lisible. La loi Pacte a toiletté l'eurocroissance. Exit les formules incompréhensibles du plus grand nombre. « Le principe reste le même mais le fonctionnement est plus lisible » avec une seule poche financière, insiste Gildas Robert, directeur exécutif au sein d'Accenture. Encore mieux : « Depuis la loi Pacte, les assureurs peuvent vraiment communiquer sur une performance du fonds. » Les performances étaient jusqu'à présent différentes selon l'échéance choisie. La nouvelle formule permet d'afficher la progression annuelle du fonds : plus simple, plus lisible.
Plus rentable. Pour Cyril Blesson, c'est LA clé : le regain d'intérêt pour les fonds croissance de 2022 à 2024 est avant tout dû à « un phénomène conjoncturel », la hausse des taux. Les fonds lancés ces dernières années ont immédiatement pu afficher des performances à 3% ou 4%. La clé.
Fonds croissance ou eurocroissance : combien ça rapporte (et rapportera) ?
Quand un placement est « mal lancé », entendez au mauvais moment, forcément, c'est la plus mauvaise des publicités pour les années suivantes. Après une piètre année boursière en 2022, lors de laquelle le CAC40 a fait presque -10%, l'année 2023 a été bien meilleure pour les fonds croissance.
Fonds (et assureur) | 2021 | 2022 | 2023 | Performance annualisée depuis le lancement |
---|---|---|---|---|
Croissance Allocation Long Terme Spirica | 4,88% | -7,76% | 5,84% | NC |
G Croissance 2014 Generali | 3,21% | -0,94% | 2,50% | 3,91% |
Agipi eurocroissance Axa France | 3,10% | 3,30% | 3,30% | NC |
G Croissance 2020 Generali | 3,01% | 0,05% | 3,67% | 2,28% |
Générations Croiss@nce durable Generali | - | 0,05% | 3,66% | 2,14% |
Fonds Croissance Axa France | 3% | 3,30% | 3,30% | 2,98% |
Afer eurocroissance Abeille Assurances (ex Aviva) | -0,14% | -11,38% | 1,85% | 0,90% |
Performances nettes de frais de gestion du contrat. Avant prélèvements sociaux et fiscaux.
Sources : communications des assureurs
Réellement un placement d'avenir ?
Sauf improbable surprise, l'eurocroissance ne supplantera jamais la star de l'assurance vie, le fonds en euros. Ni les unités de compte. L'actuaire Gildas Robert est persuadé que, « sur le long terme, le fonds croissance va surperformer ». Traduction : faire mieux que le fonds en euros. « Rien que parce que les allers et retours sont moindres que sur un fonds en euros : les assureurs peuvent anticiper que l'argent est investi sur un horizon long. Fondamentalement, rien que grâce à cette visibilité pour les équipes en charge des investissements, la performance sera meilleure que le fonds en euros. » Face aux incertitudes actuelles des SCPI, une brèche s'ouvre peut-être pour d'autres produits perçus comme rentables mais rassurants.
« Fondamentalement, rien que grâce à cette visibilité pour les équipes en charge des investissements, la performance sera meilleure que le fonds en euros »
Cyril Blesson ne croit pas à une révolution durable de l'eurocroissance. Mais à une percée tout de même : de 9 milliards d'euros fin 2023, il table sur « 23 milliards d'euros [en fonds croissance et eurocroissance] en 2028 », à condition que les taux ne s'effondrent pas. Cela restera une goutte d'eau à l'échelle des près de 2 000 milliards d'euros de l'assurance vie. Alors, flop ou pas flop ? Rendez-vous en 2029 au 15ème anniversaire pour faire les comptes.