L'hypothétique suppression de l'abattement fiscal des retraités ira-t-elle vraiment au-delà du stade du « débat de la semaine » ? L'idée revient en boucle depuis une dizaine de jours mais le gouvernement n'a jamais laissé entendre qu'il s'agisse d'un projet. Et Bercy répète : « pas de hausse d'impôt ! » Il n'empêche. L'idée a germé et inquiète de nombreux retraités, comme en témoignent les questions reçues à ce propos par la rédaction de MoneyVox. Pour illustrer l'impact d'une telle mesure, nous avons réalisé une série de simulations. Avec un constat : si cet abattement était supprimé purement et simplement, la mesure aurait de nombreux effets pervers.

Suppression de l'abattement de 10% sur la déclaration d'impôts ? Voici les perdants

1 - De nombreux retraités qui deviendraient imposables

Prenons un exemple. Isabelle, 67 ans, vit seule et touche 1 542 euros de pensions (base + complémentaire) chaque mois. C'est légèrement en dessous de la moyenne, à 1 662 euros selon la Drees. En déclarant 18 500 euros par an, elle n'est pas imposable. Mais attention, dans son cas, c'est justement l'abattement fiscal de 10% qui lui permet de ne pas payer d'impôt sur le revenu. Si jamais cette mesure venait à être adoptée, elle payerait 272 euros selon notre simulation (basée sur le barème 2024, pour l'heure reconduit en 2025).

Combien d'impôt en plus en cas de suppression de l'abattement fiscal de 10% des retraités ?
Foyer fiscalRevenus annuels déclarésImpôt actuelImpôt après suppression de l'abattement
Retraité seul14 400 €
(soit 1 200 € par mois)
Retraité seul18 500 €
(soit 1 542 € par mois)
0 €272 € environ
Retraité seul19 944 €
(soit 1 662 € par mois)
190 €510 € environ
Retraité seul24 000 €
(soit 2 000 € par mois)
774 €1 155 € environ
Couple de retraités19 944 € chacun
(soit 1 662 € par mois chacun)
682 €1 320 € environ

Source : simulateur officiel sur impots.gouv.fr + simulations MoneyVox avec des RFR équivalents aux revenus annuels déclarés pour mesurer l'impact de la suppression de l'abattement.
Précision : situations simplifiées. Sans aucune autre déduction ni abattement fiscal.

A ce jour, l'entrée dans l'impôt se fait à 17 144 euros de revenu net imposable (donc après abattement). En clair, pour les retraités vivant seuls, tous ceux qui sont non imposables actuellement mais dont la pension mensuelle dépasse 1 429 euros risqueraient de payer l'impôt sur le revenu à cause de la suppression de l'abattement.

Pour un couple de retraités, cette limite se situe actuellement à 22 791 euros soit près de 1 900 euros par mois à deux : en cas de suppression de l'abattement, les couples de retraités touchant un peu plus de 1 900 euros par mois risqueraient d'avoir un impôt à payer alors que ce n'est pas la cas aujourd'hui.

« Les effets de bord sont réels », reconnaît l'économiste de l'OFCE, Pierre Madec, qui a réalisé une étude chiffrée comparant cette mesure et une désindexation des pensions. « Oui, elle ferait rentrer des gens dans l'impôt, en entrant dans la première tranche du barème [à 11%, NDLR]. »

2 - Hausse importante pour les retraités « modestes » bénéficiant de la décote fiscale

Nouvel exemple. Jacques touche 1 662 euros par mois, base et complémentaire additionnées, ce qui correspond à la pension moyenne. Il vit seul et paie un « petit » impôt annuel de 190 euros. Pourquoi ? Grâce au compexe mécanisme de la décote qui atténue l'impôt sur le revenu des foyers modestes (542 euros de décote dans ce cas précis).

Et si l'abattement était supprimé ? Jacques profiterait toujours de la décote, mais moins fortement (442 euros). Donc non seulement sans abattement ses revenus soumis à l'impôt seraient plus importants, mais en outre la décote est moindre. Résultat : son impôt serait quasi triplé ! De 190 euros, il passerait à 510 euros.

« Le seul moyen d'éviter une forte hausse pour les retraités imposables modestes serait de toucher à la décote »

« Sur les effets de bord, le seul moyen d'éviter une forte hausse pour les retraités imposables modestes serait de toucher à la décote, explique Pierre Madec. Or une évolution de la décote toucherait tout le monde, actifs compris ! »

Combien d'impôt payerez-vous en plus si l'abattement de 10% est supprimé ?

3 - Hausse plafonnée pour les plus riches des retraités

Dernier effet indésirable de cette suppression, du moins du point de vue de l'équité de la mesure : au regard de leurs revenus, la perte de l'abattement fiscal serait bien moins pénalisante pour les plus riches des retraités. Pourquoi ? Car cet abattement est actuellement plafonné à 4 321 euros (abattement par foyer fiscal, le montant est le même que vous soyez seul ou en couple). Si vous gagnez plus de 43 210 euros de pensions de retraite par an, vous ne bénéficiez plus pleinement de cet abattement.

Exemple. Murielle a une pension de base au plafond légal, mais ses pensions complémentaires sont très élevées grâce à une carrière professionnelle fructueuse. Elle déclare 60 000 euros de pensions, au global, chaque année, soit 5 000 euros par mois. Mais elle ne profite pas de 6 000 euros d'abattement : dans son cas, les 10% sont plafonnés à 4 321 euros.

Résulat : certes la suppression de l'abattement se traduitrait pour elle par une augmentation d'impôt. Mais « plafonnée ». Son impôt passerait de 9 990 euros à 11 286 euros. Soit 1 296 euros d'impôt en plus. Ce qui correspond au même impôt supplémentaire pour un retraité déclarant 50 000 euros annuels, ou 70 000 euros annuels.

Combien d'impôt en plus en cas de suppression de l'abattement fiscal de 10% des retraités ?
Foyer fiscalRevenus annuels déclarésImpôt actuelImpôt après suppression de l'abattement
Retraité seul40 000 €
(soit 3 333 € par mois)
4 086 €5 286 €
Retraité seul60 000 €
(soit 5 000 € par mois)
9 990 €11 286 €
Retraité seul100 000 €
(soit 8 333 € par mois)
23 457 €25 229 €
Couple de retraités40 000 € chacun
(soit 3 333 € par mois chacun)
9 276 €10 572 €

Source : simulateur officiel sur impots.gouv.fr + simulations MoneyVox avec des RFR équivalents aux revenus annuels déclarés pour mesurer l'impact de la suppression de l'abattement.
Précision : situations simplifiées. Sans aucune autre déduction ni abattement fiscal.

« Si on veut une vraie mesure de justice fiscale progressive, ce n'est pas sûr que ce soit la bonne mesure », concède Pierre Madec, tout en rappelant que cette mesure resterait plus retistributive et progressive qu'une désindexation des pensions, laquelle ne fait que des perdants, même parmi les ménages les plus modestes, non imposables. « Qui contribue le plus à ces 4,6 milliards [le coût annuel, pour l'Etat, de cet abattement fiscal, NDLR] ? Ce sont les plus aisés. Mais au sein des retraités les plus riches, ceux qui sont vraiment les plus fortunés seraient peu mis à contribution au regard de leur niveau de vie. »

Budget 2025. Cette mesure est-elle réellement sur la table des négociations ?

« La solution pour les finances publiques n'est pas d'augmenter les impôts pour tout résoudre (...) Ma boussole, c'est de ne pas augmenter les impôts existants et de ne pas en créer de nouveaux. » Déclaration de la nouvelle ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, dans Le Figaro daté du jeudi 16 janvier.

« Si l'on veut faire des économies notables, et si les gouvernements successifs estiment qu'il faut cibler la population, pourtant très hétérogène, des retraités, difficile de regarder autre chose que les impôts ou l'indexation des pensions », réagit l'économiste Pierre Madec. Or, supprimer l'abattement fiscal revient à augmenter les impôts. Pierre Madec voit ainsi la déclaration de la ministre comme une fin de non-recevoir pour cette mesure proposée par le président du COR, Gilbert Cette, et le président du Medef, Patrick Martin.

Sans suppression de l'abattement fiscal, guetterait alors le risque d'un futur retour de la désindexation des pensions ? Ou d'une hausse de la CSG ? « Il y a aussi les revenus du patrimoine », liste Pierre Madec, tout en rappelant que là encore le gouvernement semble écarter cette possibilité.

Si jamais cet abattement restait sur la table des négociations, un compromis pourrait être d'abaisser le plafond actuel de 4 321 euros, afin d'éviter les effets pervers pour les retraités de la classe moyenne. Mais les économies potentielles seraient moindres.