Un vrai souci d'orientation au plus jeune âge, tout-à-fait. Mais aussi une vision d'un métier pour la vie avec des évolutions internes bien compliquées et archaïques, des reprises d'études moins valorisées que la voie royale, de l'expérience de seniors non valorisée.
Quelques anecdotes:
- en école d'ingénieurs, les rendus de devoirs par voie électronique étaient à faire avant minuit. Du coup, les élèves travaillaient en charette le soir, juste avant minuit. Impossible à gérer avec des petits boulots. Une élève qui gardait des gosses le soir s'est fait convoquer par la direction. "Vous devez choisir entre faire partie de l'élite et gagner quelques sous. Faîtes un prêt". Il suffisait de mettre la deadline à 19h...
- en même école, un stage ouvrier de trois semaines pour apprendre à travailler. Mais aucun dispositif de valorisation des éventuels petits boulots que l'élève aurait pu avoir antérieurement.
- en école d'ingénieurs, alors que les élèves sont majeurs (Bac+2), des journées pour les parents. Rien en fac. On y est adulte. Et un peu perdu.
- chez MacDo, formidable opportunité pour avoir une première expérience pro, les managers doivent avoir un bac+2 (à vérifier). Du coup, ascenseur social bloqué. En restauration traditionnelle, il faut 18 ans pour bosser.
- à Saint-Cyr, deux voies d'accès. La voie royale des prépas, la voie interne pour les sous-officiers expérimentés. Lors de la reconstitution d'Austerlitz les 2 S (décembre), les Français victorieux sont joués par les jeunes de la voie royale, les Russes perdants par les vieux...
- au lycée, dans mon bac E, les profs de matières technologiques étaient des anciens de l'usine, en reclassement de fin de carrière. Maintenant, ce seraient des ressortissants d'un CAPES sans expérience de l'entreprise.
- dans le BTP, le diplôme de conducteur de travaux est assujetti depuis quelques années à un certain niveau de langue anglaise. J'ai vu ce changement. Et j'ai vu Adelino, 15 ans de chantier en région parisienne, se faire refuser le diplôme parce qu'il ne parle que français et portugais.
- un ami a été chaudronnier dans le nucléaire. Un salaire de cadre, aux 35h, en province, en CDI. Mais une vie personnelle morose depuis ses 17 ans. Il a demandé un break pour faire deux saisons de Club Med. Davantage de jeunes femmes accortes qu'à l'usine. Davantage de soleil qu'au Creusot. Mais on ne le reprend pas après ce break de 18 mois, car il n'est plus à jour de son expérience. L'entreprise cherche du monde avec 7 ans d'expérience, sans discontinuité.
- la réforme LMD et la possibilité d'Erasmus font que tout le monde a un bac+5, mais plus grand'monde une simple licence. Il n'y a plus de techniciens, plus de cadres intermédiaires.
- si les accidents de la vie sont pris en compte largement, le principal risque de la vie est un mauvais divorce. J'ai connu beaucoup de cadres (surtout masculins) qui, ayant tout perdu, voient la vie autrement, plus modestement.
- il est difficile d'obtenir un crédit pour fonder sa boîte. Sauf à sortir d'une école de commerce et de faire le pitch parfait. Le banquier favorisait il y a encore deux ans d'investir dans la pierre.
- les échelonnements de carrière ne sont pas favorables aux expériences multiples. Si une institutrice voulait se reconvertir à 55 ans dans une PME, sa hiérarchie bloquerait son CPF et elle recommencerait en bas de l'échelle.
- des milliers de kébabs en France, dont la vocation est souvent peu entreprenariale. Un brave Turc en bas de chez moi, à 1500km de Paris. Il s'est diversifié, a embauché du monde, et propose une demi-douzaine de plats méditerranéens. A quand un plan porté par la profession pour faire monter en gamme ces fast-foods?
- ce cas comique et médiatisé d'une mère qui rédige le CV de son gosse, qu'un DRH prétentieux lui demandait pour son stage de 3e.
- un réservoir francilien de CV parfaits, d'une région dont seule Londres est l'équivalent européen, de jeunes cadres dynamiques pas encore usés, de moutons à cinq pattes qui répondent à toutes les prétentions des entreprises trop heureuses d'avoir eu pendant des décennies ces prêts à tout pour une expérience dans leur carrière, alors que désormais ces cadres ne rêvent que de vie paisible de famille en province et non de vivre en coloc à 1000€ par mois dans la poubelle ville du monde.
Bref, pour ces retraites comme pour le reste, le gouvernement manipule du quantitatif vite-fait bien-fait alors que les réformes devraient être qualitatives. Beaucoup de blocages. Peut-être un grand reset.