Le futur gouvernement déposera une loi spéciale « avant la mi-décembre au Parlement », a annoncé jeudi soir Emmanuel Macron, tablant sur cet outil législatif rarement utilisé, pour permettre à l'appareil d'Etat de fonctionner en l'absence de promulgation d'un budget au 1er janvier.

Que peut la loi spéciale ?

Le texte doit atterrir sur le bureau de la Commission des finances de l'Assemblée nationale « le 12 ou le 13 décembre », a indiqué son président, Eric Coquerel (LFI) à l'AFP, et cette loi spéciale devrait comporter un nombre très limité d'articles.

Il s'agit d'une « rustine » qui poursuit le double objectif « d'autoriser le prélèvement des impositions de toutes natures, et de permettre la reconduction des crédits » de manière temporaire, explique Martin Collet, professeur de droit fiscal à l'université Paris Panthéon-Assas.

Plus précisément, des décrets d'application pris sur la base de cette loi doivent permettre de verser la rémunération des agents publics, détaille Bercy.

Mais l'application de ce texte, par essence provisoire, ne semble pas pour autant bornée dans le temps d'un point de vue juridique, sauf à ce qu'un nouveau budget soit adopté.

Quel impôt sur le revenu ?

C'était l'un des arguments massues du gouvernement pour tenter d'éviter la censure : sans adoption du projet de loi de finances, l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu (IR) sur l'inflation dans la loi spéciale comporterait un risque d'inconstitutionnalité.

La conséquence de cette non-indexation serait que 380 000 nouveaux ménages pourraient être assujettis à l'IR, tandis que 17,6 millions qui le payaient déjà le verraient augmenter.

Mais il y a un débat sur ce point, et M. Coquerel a notamment indiqué à l'AFP qu'il déposerait un amendement pour tenter d'indexer le barème de l'IR sur l'inflation dans la loi spéciale.

L'adoption d'un nouveau projet de loi de finances en 2025 devrait néanmoins permettre « d'actualiser le barème rétroactivement », détaille M. Collet.

Impôts 2025 : faites-vous partie des 380 000 foyers qui risquent de devenir imposables ?

Quid du déficit public ?

Un budget 2024 reconduit se traduisant par un gel des dépenses de l'Etat en valeur représenterait entre 15 et 18 milliards d'euros d'économies, avait expliqué mardi à l'AFP, Mathieu Plane, économiste à l'OFCE, soit un niveau proche de l'effort prévu dans le projet de loi de finances (PLF) initial pour 2025. Le gouvernement s'était fixé l'objectif de réduire le déficit public à 5% du PIB l'an prochain.

Les dépenses sociales, indexées automatiquement sur l'inflation, augmenteraient, tandis que l'Etat devrait renoncer aux hausses d'impôts - au moins 20 milliards - qu'il envisageait, comme la surtaxe sur les très hauts revenus ou les bénéfices des grandes entreprises.

A priori, « sans mesures fiscales nouvelles consistant à prélever plus, et sans mesures d'économies consistant à dépenser moins, on ne voit pas bien comment le niveau des déficits ne resterait pas relativement identique », juge M. Collet.

Quels engagements financiers de l'Etat ?

Dans l'attente du vote d'un budget, les ministères disposeront des crédits « qui leur ont été alloués en 2024 », indique Bercy.

« Mais dans l'exécution, une communication sera faite aux ministères pour donner le vade-mecum de l'utilisation de ces crédits », et préciser une « doctrine », selon Bercy, ajoutant que « la logique sera plutôt de s'astreindre à ce qui est nécessaire à la continuité de l'Etat ».

Reste à connaître les contours de cette doctrine et ses conséquences budgétaires, et à savoir si le nouveau gouvernement pourrait user de son pouvoir réglementaire pour raboter certains crédits, comme il l'a déjà fait par décret en février, à hauteur de 10 milliards d'euros, suscitant des critiques.

La loi spéciale devrait également permettre à l'Acoss, trésorier de la Sécurité sociale, de continuer à emprunter sur les marchés, tout comme l'Agence France Trésor, qui gère la dette et la trésorerie de l'Etat.