L'annonce de la suspension (temporaire) de la réforme des retraites, par le Premier ministre Sébastien Lecornu le mardi 14 octobre, a pris tout le monde de court. Politiques, syndicats, organisations patronales... Si bien que les contours précis de cette suspension (ou décalage de la mise en œuvre de la réforme, selon la manière de présenter) ont mis du temps à se préciser.

Il a fallu attendre la publication de la lettre rectificative du budget de la Sécu, fin octobre, pour cerner les modalités précises de cette suspension... avec toujours quelques petites zones de flou toutefois. Le point sur les mesures prévues, en attendant évidemment de savoir si les députés voteront ou non cette suspension... et si les modalités d'application seront adaptées ou non.

Âge de départ légal à la retraite : quel décalage ? Pour qui ?

« Aucun relèvement de l'âge n'interviendra à partir de maintenant jusqu'à janvier 2028. » Voilà le principe général, exposé mi-octobre par Sébastien Lecornu devant l'Assemblée nationale. Un principe qui lui permet de parler de « suspension » : l'âge légal de départ à la retraite ne recule plus jusqu'à la prochaine élection présidentielle !

Restait à comprendre cette volonté. À quel âge légal la réforme allait-elle être bloquée ? Et quid de la génération 1965, particulière car elle pourrait en théorie partir à la retraite dès la fin 2027... La lettre rectificative a permis d'élaborer le calendrier suivant : âge figé à 62 ans et 9 mois pour l'instant, pas de cas particulier pour ceux qui sont nés lors des premiers mois de l'année 2025, qui partiront finalement tous à la retraite à compter de leurs 63 ans en 2028... Et, in fine, un décalage de seulement un trimestre dans la mise en œuvre de la « réforme Borne » si aucune nouvelle loi n'est adoptée d'ici 2028.

Suspension de la réforme - Quand pourrez-vous partir à la retraite ?
Année de naissanceÂge de départ légal
avec la réforme appliquée
Âge de départ
si la réforme est suspendue
196362 ans et 9 mois62 ans et 9 mois
196463 ans62 ans et 9 mois
196563 ans et 3 mois63 ans
(sauf en cas de nouvelle réforme d'ici 2028)
196663 ans et 6 mois63 ans et 3 mois
196763 ans et 9 mois63 ans et 6 mois
196864 ans63 ans et 9 mois
1969 et suivantes64 ans64 ans

Source : Assurance retraite. La suspension de la réforme n'est pas encore votée ! Ce décalage reste soumis au sort du PLFSS au Parlement.

Durée de cotisation pour partir à taux plein : quel changement ? Pour quoi ?

Même décalage d'un trimestre dans la mise en œuvre de la « réforme Borne » pour la durée d'assurance nécessaire pour partir à taux plein.

Dans les faits, au niveau du nombre de trimestres à justifier, cette suspension temporaire n'a d'incidence que pour les futurs retraités nés en 1964 et 1965 : ils ont un trimestre de moins à valider pour atteindre le taux plein.

Combien de trimestres à valider en cas de suspension de la réforme ?
Année de naissanceAvec la réforme actuelleSi la réforme est suspendue
1963170170
1964171170
1965172171
1966 et suivantes172172

Source : Assurance retraite. La suspension de la réforme n'est pas encore votée ! Ce décalage reste soumis au sort du PLFSS au Parlement.

Pour qui la suspension ne change rien ?

Pour tous ceux qui sont nés entre septembre 1961 et 1963 : à quelques exceptions près, ils ont déjà dû travailler plus longtemps pour pouvoir partir à la retraite. Et même s'ils n'ont pas encore liquidé leurs droits à la retraite, cette suspension ne change rien pour eux !

Attention, la suspension n'est pas encore votée, en attendant, comme le rappelle l'Assurance retraite, « la législation actuellement en vigueur continue de s'appliquer. Les règles actuelles concernant l'âge légal de départ, les trimestres requis et les modalités de calcul des retraites restent inchangées pour le moment. »

Départs en carrière longue : quelle nouveauté à ce stade ?

C'était la grande surprise à la lecture de la lettre rectificative intégrant cette suspension au projet de loi initial sur le financement de la Sécurité sociale en 2026 : pas de suspension pour les départs anticipés pour carrière longue !

Un dispositif loin d'être anecdotique : en 2024, sur les 652 000 retraites personnelles attribuées au régime général, on décomptait 118 252 retraites « carrière longues », soit 18% du total, selon la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav). Et le nombre de bénéficiaires du dispositif « carrière longue » est amené à progresser avec le recul de l'âge de départ progressif à 64 ans.

D'autant que la « réforme Borne » l'a renforcé justement pour compenser le recul de l'âge de départ : à terme, avec cette réforme, vous pourrez partir à 63 ans si vous avez commencé votre carrière (4 à 5 trimestres validés) avant la fin d'année de vos 21 ans ; à 62 ans si vous avez travaillé suffisamment avant vos 20 ans ; à 60 ans pour une carrière entamée avant vos 18 ans et dans certains cas beaucoup plus rares à 58 ans pour les carrières très précoces. Précision d'importance : pour partir en anticipé, il faut aussi avoir tous vos trimestres « réputés cotisés ».

La retraite anticipée APRÈS la réforme
Départ à
63 ans
Départ à
62 ans
Départ à
60 ans
Départ à
58 ans
Vous êtes né...Il faut avoir validé,
avant la fin de l'année de vos
21 ans...
Il faut avoir validé,
avant la fin de l'année de vos
20 ans...
Il faut avoir validé,
avant la fin de l'année de vos
18 ans...

Il faut avoir validé,
avant la fin de l'année de vos
16 ans...

Entre janvier et septembre5 trimestres5 trimestres5 trimestres5 trimestres
Entre octobre et décembre4 trimestres4 trimestres4 trimestres4 trimestres

Attention : ce tableau fait référence à la situation à terme, plusieurs années après l'entrée en vigueur de la réforme.
Pour les départs anticipés à 62 ans, le passage est progressif de 60 à 62 ans.
Le départ anticipé à 63 ans sera intéressant uniquement pour ceux qui sont nés après 1964 : avant, l'âge légal sera inférieur à 63 ans, donc cette borne sera inutile.

Carrière longue : comment compter vos trimestres pour partir à la retraite plus tôt

De fait, « les salariés des générations 1964 et 1965 ont déjà commencé à partir en carrières longues », soulignait Yvan Ricordeau, négociateur de la CFDT, à l'AFP fin octobre. Concrètement, aucune mesure spécifique n'est prévue pour ceux qui partent en anticipé dans les prochains mois. À ce stade, rien ne change pour les futurs retraités nés en 1964 et 1965, et encore moins pour ceux qui sont nés avant, en 1963 ou 1962.

« Ils partiraient donc également 3 mois plus tôt que prévu par la réforme 2023 »

Il n'empêche. Comme l'explique le cabinet de conseil Novelvy Retraite dans un décryptage de la lettre rectificative du PLFSS, le texte « rectifié ne mentionne pas les carrières longues mais le gel de l'âge légal aura des conséquences sur l'âge de départ anticipé des assurés ayant commencé à travailler avant 20 ans », pour prendre le dispositif carrière longue le plus utilisé. Car la durée d'assurance requise pour la génération 1964 passe à 170 trimestres avec la suspension. Et à 171 trimestres pour les 1965. De fait, il leur faudra un trimestre de moins pour atteindre le taux plein, condition sine qua none pour partir à la retraite en anticipé. « Ils partiraient donc également 3 mois plus tôt que prévu par la réforme 2023 », explique Novelvy Retraite.

En ce sens, une fois le texte promulgué, et sous réserve que les régimes de retraite puissent l'appliquer immédiatement, alors la suspension aura un impact sur les départs anticipés pour carrière longue. À partir de 60 ans et 6 mois, toujours, pour la génération 1964, et à partir de 60 ans et 9 mois pour les personnes nées en 1965.

Et des adaptations du PLFSS rectifié sur le cas spécifique des carrières longues ne sont pas à exclure lors de la discussion parlementaire.

Et les départs à 63 ans pour carrière démarrée avant 21 ans ? De fait, l'âge légal est figé à 62 ans et 9 mois à ce stade. La nouvelle « borne d'âge » de départ anticipé n'a donc aucun effet à ce stade.

Les autres mesures sur les retraites prévues dans le budget de la Sécu

Plusieurs mesures touchant aux retraites sont prévues dans le budget de la Sécu rectifié. Voici ce que cela changerait.

Cumul emploi-retraite. « Les règles actuelles seraient simplifiées », explique l'Assurance retraite dans un décryptage du texte. Le salaire touché en cumul emploi-retraite viendrait réduire votre pension si vous partez avant l'âge légal. Puis, après l'âge légal mais avant 67 ans, « vous pouvez cumuler emploi et retraite, mais vos revenus ne doivent pas dépasser un certain seuil. Celui-ci sera fixé par décret et pourrait être de 7000 € par an ». Passé le cap des 67 ans, « vous pourriez bénéficier sans conditions du cumul de votre retraite et d'un revenu d'activité » et « ces périodes travaillées en cumul après 67 ans pourraient donner droit à une seconde retraite ».

Enfants et carrière longue. Pour les retraites prises à compter de septembre 2026, « les trimestres accordés pour la naissance, l'éducation ou l'adoption d'un enfant pourraient être pris en compte pour accéder à un départ anticipé pour carrière longue », explique l'Assurance retraite. « Le projet de loi prévoit de retenir deux trimestres pour permettre de bénéficier plus facilement du dispositif. »

Calcul de la retraite des mères. Au lieu des 25 meilleures années, pour le calcul de la retraite de base du privé, ce serait les 24 meilleures années pour les mères ayant un enfant, les 23 meilleurs pour les autres.

Le gel (ou dégel) des pensions de base. Le suspense est de mise pour le gel, ou dégel, des pensions de retraite 2026, Sébastien Lecornu s'étant finalement dit favorable à une indexation en 2026. En revanche, la sous-indexation reste dans les tuyaux : « avec un taux de revalorisation réduit par rapport à l'indice des prix de 0,9% en 2027 et de 0,4% de 2028 à 2030 », comme l'explique Novelvy Retraite. Cette mesure servirait à financer la suspension temporaire du recul de l'âge de départ à la retraite.