La censure du gouvernement de Michel Barnier sera-t-elle votée mercredi 4 décembre ? À ce stade, à la vue des multiples rebondissements récents, répondre par l'affirmative paraît hâtif mais la censure est de loin le scénario le plus probable. Le groupe RN à l'Assemblée a confirmé qu'il votera la motion déposée par la gauche. Le gouvernement Barnier sera alors démissionnaire. Mais ce ne serait pas nécessairement la fin de l'aventure des textes budgétaires au Parlement. Voici ce qui vous attend, avec le conditionnel d'usage, pour vos finances personnelles.

1 - Pour les retraites, quelle hausse si le gouvernement est censuré ?

Si la censure se confirme, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2025) dans sa version issue de la commission mixte paritaire sera considéré comme rejeté. Mais un gouvernement démissionnaire peut tout de même choisir de « continuer de jouer la navette » en reprenant le texte voté au Sénat.

S'enclencherait alors un cycle totalement inédit conduisant à de possibles ordonnances pour appliquer certaines mesures rejetées en bloc par l'Assemblée... « Déjà, on n'a jamais eu d'ordonnances sur un budget avec un gouvernement classique. Vous imaginez avec un gouvernement démissionnaire... », tempère Mélody Mock-Gruet, docteure en droit public et enseignante à Sciences Po Paris.

L'autre issue possible, pour le PLFSS, est l'absence de PLFSS, aussi étonnant que cela puisse paraître : « Le PLFSS, mis à part sur les retraites, ce n'est pas grave qu'il ne soit pas adopté », explique Vincent Dussart, professeur de droit public à l'Université Toulouse Capitole. « Ce n'est pas un budget à proprement parler. L'Etat n'autorise pas les dépenses. Il ne fait que fixer des objectifs. Notamment à travers l'Ondam [Objectif national de dépenses d'assurance maladie] avec des montants que l'on cherche à ne pas dépasser. »

La conséquence, pour les retraites, serait l'absence de désindexation. Et donc l'application de la règle prévue au Code de la Sécurité sociale... laquelle conduit à une hausse de 2,2% sur la base des douze derniers indices d'inflation.

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2 - Le barème de l'impôt sur le revenu serait-il nécessairement gelé ?

Autant l'absence de budget de la Sécurité sociale ne conduirait pas nécessairement à un accident industriel... autant l'État français a effectivement besoin d'une loi de finances pour 2025 pour fonctionner. « La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001 décrit la Constitution sur les lois de finances », explique Vincent Dussart. « La LOLF prévoit en son article 45 qu'en l'absence de loi de finances, on puisse faire voter une loi spéciale. » Ce mécanisme doit permettre la continuité de l'État : « Juridiquement, sinon, les impôts ne peuvent pas être encaissés : ni pour l'Etat, ni pour les collectivités territoriales, ni la CSG. »

« On fait rentrer mécaniquement 380 000 foyers français supplémentaires dans l'impôt sur le revenu »

Quid de l'indexation du barème de l'impôt sur le revenu ? Le ministre chargé du Budget Laurent Saint-Martin a prévenu ce week-end dans Le Parisien que « si on reconduit le budget 2024, on fait rentrer mécaniquement 380 000 foyers français supplémentaires dans l'impôt sur le revenu parce que le barème n'aura pas suivi l'inflation et 17 millions de foyers paieront plus également ».

Vrai ou faux ? Thibaud Mulier, chercheur en droit public au Centre de théorie et d'analyse du droit, modère le catastrophisme ambiant auprès de LCP : « Le discours alarmiste s'entend pour des raisons politiques », explique-t-il, avant de confirmer tout de même le gel du barème : « Cela dit il y a une part de vrai dans l'alarmisme et quand Laurent Saint-Martin dit que l'impôt sur le revenu ne sera pas indexé, c'est vrai. »

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« C'est vraiment de la fiction. En réalité, beaucoup d'hypothèses n'ont pas été prévues dans la loi »

Toutefois la situation est si inédite qu'il ne faut pas écarter de possibles surprises. « La loi spéciale est une loi de perception a minima de l'impôt », confirme le professeur de droit public Vincent Dussart. « Donc on repart sur la base des impôts de l'année précédente. Mais il subsiste la limite du point de vue du Conseil constitutionnel. Dans l'esprit de la loi, le barème est revalorisé chaque année : le Conseil constitutionnel pourrait considérer qu'une absence de revalorisation est inconstitutionnelle... »

Bonne nouvelle ? Pas si vite : « Une inconstitutionnalité de la loi spéciale engendrerait l'impossibilité de percevoir les impôts... C'est vraiment de la fiction. En réalité, beaucoup d'hypothèses n'ont pas été prévues dans la loi », souligne Vincent Dussart. Ce qui laisse planer encore plus d'incertitudes.

On résume ? À ce stade, en cas de censure, le gel du barème, et donc la hausse d'impôt pour tous ceux dont le salaire ou les revenus ont progressé, est bel et bien le plus probable. Mais ce gel n'est pas forcément automatique.

3 - Que deviennent le prêt à taux zéro ou la nouvelle contribution « hauts revenus » ?

Avec une loi spéciale se limitant à la perception des impôts, agrémentée de décrets prolongeant les crédits de l'année 2024, toutes les nouvelles mesures présentes dans le budget 2025 sautent. Bien évidemment. Y compris la nouvelle contribution différentielle sur les hauts revenus visant les 0,3% les plus fortunés. Quant aux tarifs de l'électricité, le bouclier tarifaire devait déjà prendre fin au 1er févier 2025. En revanche, l'extension du prêt à taux zéro prévu dans le projet de budget 2025 ne verrait pas le jour comme l'a expliqué Laurent Saint-Martin dans Le Parisien : « Il n'y aura pas d'élargissement du prêt à taux zéro à tout le territoire national pour relancer le secteur du logement. »

4 - Quid des prolongations de niches fiscales ?

Un exemple. L'exonération des pourboires court jusqu'à la fin 2024. Des amendements prolongeant cette exonération au-delà de 2024 ont été adoptés dans le projet de loi de finances avec avis favorable du gouvernement. Une prolongation qui saute avec la censure. Si la censure du gouvernement se confirme, il faudra lister les niches fiscales prenant ainsi fin « par défaut ».

Tant qu'il s'agit de reconduire des dispositifs existants, une loi spéciale pourrait-elle intégrer des prolongations ? « Peut-être, car ce ne serait pas considéré comme un nouveau dispositif », répond Mélody Mock-Gruet. « Mais rien n'est certain : un gouvernement démissionnaire pourrait préférer ne pas toutes les reconduire afin de réduire le budget »

« Je pense qu'on garderait les mêmes dispositifs qu'en 2024 », répond dans un premier temps Vincent Dussart, avant de préciser : « mais ceux qui exigent un renouvellement en loi de finances ne seraient pas renouvelés », dans le sens où la loi prévoyait déjà une date de péremption pour ces niches fiscales. Suspense et saut dans l'inconnu, là encore.

5 - Les prestations sociales ou le RSA augmenteront-ils ?

À l'image des retraites, comme expliqué plus haut, faute de PLFSS, c'est le Code de la sécurité sociale qui s'applique. Et il prévoit une revalorisation annuelle du RSA et des prestations de la CAF au 1er avril de chaque année, au rythme de l'inflation. Selon l'estimation provisoire du rapport à la Commission des comptes de la Sécurité sociale, la hausse programmée pour le printemps est de 1,9%. Un calcul qui sera mis à jour au printemps.

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Un gouvernement démissionnaire peut-il gérer l'urgence budgétaire ?

Oui. « Si la motion de censure est adoptée, le gouvernement est démissionnaire », explique Mélody Mock Gruet, auteure du Petit Guide du Contrôle Parlementaire. « Il n'y a pas de cadre constitutionnel pour un gouvernement démissionnaire. Comme cet été, c'est le président de la République qui nomme, et qui reste maître des horloges. Ce gouvernement démissionnaire pourrait donc tout à fait rester aux manettes jusqu'à la fin 2024 et donc jusqu'à la fin de la séquence budgétaire. Il pourrait potentiellement rester aux responsabilités jusqu'en janvier voire début février. »