Quand l'Assemblée va-t-elle se prononcer sur le budget de la Sécu et donc sur la hausse des retraites ?
La menace d'une censure pèse sur le gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances, au cœur du jeu médiatique avec les oppositions. Mais le calendrier parlementaire porte le budget de la Sécurité sociale comme première fenêtre de tir, avec un possible 49.3 dégainé dès ce lundi 2 décembre et un possible vote de censure mercredi 4 décembre.
Si jamais la censure était votée, l'actuel projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2025), texte issue de la commission mixte paritaire (CMP) portant la hausse en deux temps des retraites, serait considéré comme rejeté.
Retraites 2025 : combien y perdez-vous avec la hausse finalement prévue à 0,8% au 1er janvier ?
En cas de censure, le budget de la Sécu est-il définitivement « mort » ?
Attention, casse-tête ! « En cas de censure, le PLFSS issu de la CMP sera considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale », explique Mélody Mock-Gruet, docteure en droit public et enseignante à Sciences Po Paris. Le gouvernement, démissionnaire, ne peut théoriquement pas présenter de nouveaux projets de loi mais il peut « continuer de jouer la navette » : « Puisque le rejet aura porté sur le texte de la CMP, le PLFSS issu du Sénat reviendrait en deuxième lecture à l'Assemblée. Mais le délai de 50 jours interviendrait le 5 décembre ! Ce serait trop court pour l'Assemblée... Dans ce cas de figure, le gouvernement démissionnaire aurait la possibilité de prendre des ordonnances. »
« Attention, c'est inédit »
Un gouvernement démissionnaire qui passerait donc par ordonnances sur un texte précédemment rejeté... « Attention, c'est inédit », insiste Mélody Mock-Gruet : « Déjà, on n'a jamais eu d'ordonnances sur un budget avec un gouvernement classique. Vous imaginez avec un gouvernement démissionnaire... En outre, ces ordonnances seraient réglementaires et non législatives : cela signifie que le Conseil constitutionnel ne serait pas compétent pour les juger, uniquement le Conseil d'Etat. En théorie, un gouvernement pourrait prendre des ordonnances et le Conseil d'Etat les jugerait a posteriori. »
Ce premier scénario, d'un passage par ordonnances pour mettre en œuvre le PLFSS et la revalorisation en deux temps des retraites malgré la censure, est à ce stade difficile à imaginer...
Est-ce que la France peut faire sans budget de la Sécurité sociale 2025 ?
Oui. Aussi étonnant que cela puisse paraître. « Le PLFSS, mis à part sur les retraites, ce n'est pas grave qu'il ne soit pas adopté », explique Vincent Dussart, professeur de droit public à l'Université Toulouse Capitole. « Ce n'est pas un budget à proprement parler. L'Etat n'autorise pas les dépenses. Il ne fait que fixer des objectifs. Notamment à travers l'Ondam [Objectif national de dépenses d'assurance maladie] avec des montants que l'on cherche à ne pas dépasser. »
« Le PLFSS, mis à part sur les retraites, ce n'est pas grave qu'il ne soit pas adopté »
Autant la Constitution et surtout la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) prévoient une loi spéciale d'urgence en l'absence de loi de finances, afin de continuer à percevoir les impôts notamment, ces textes ne prévoient pas de loi spéciale pour un PLFSS. « Mis à part l'option des ordonnances, on pourrait donc se retrouver sans PLFSS », confirme Mélody Mock-Gruet, auteure du Petit Guide du Contrôle Parlementaire.
Par défaut, sans budget de la Sécurité sociale, quelle serait la hausse des retraites au 1er janvier 2025 ?
Attention, politique fiction ! Et, surtout, sur cette question, les constitutionnalistes et experts en droit des finances publiques reconnaissent eux-mêmes un débat entre spécialistes. Incertitude, donc. Mais, ces précautions d'usage étant dites, le principe des textes serait le suivant : « Juridiquement, il n'y a pas de shutdown en Sécurité sociale : dans ce cas de figure [en cas de censure sur le PLFSS], on suivrait le Code de la sécurité sociale. »
« A mon sens, oui, ce serait 2,2%. On reconduirait le chiffre prévu dans le Code de la sécurité sociale. Mais c'est une situation inédite »
Or, que dit le Code de sécurité sociale ? « La revalorisation annuelle des montants de prestations (...) est effectuée sur la base d'un coefficient égal à l'évolution de la moyenne annuelle des prix à la consommation, hors tabac, calculée sur les douze derniers indices mensuels de ces prix publiés par [l'Insee] l'avant-dernier mois qui précède la date de revalorisation des prestations concernées. » Article L161-25 du Code de la sécurité sociale. Résultat mathématique, maintenant que l'inflation définitive d'octobre 2024 est connue : +2,2%. Par défaut, faute de PLFSS, ce serait donc la fameuse revalorisation issue de la formule réglementaire, jugée cette année trop généreuse par le gouvernement, qui s'appliquerait...
« A mon sens, oui, ce serait 2,2%. On reconduirait le chiffre prévu dans le Code de la sécurité sociale. Mais c'est une situation inédite », nuance Vincent Dussart, invitant à la précaution avec les incertitudes (déclenchement, quoiqu'improbable, de l'article 16 de la Constitution par Emmanuel Macron lui accordant des pouvoirs étendus ?) et subtilités réglementaires (décrets pour mettre en œuvre cette revalorisation par défaut ?) qui pourraient contrecarrer cette « bonne surprise » pour les retraités. Le feuilleton budgétaire est décidemment loin d'être refermé.