Les Français adorent l'or. Un chiffre circule : les particuliers détiendraient près de 3 400 tonnes de métal jaune. Rapporté à la population majeure, cela représenterait 64 grammes par personne. « 3 400 tonnes, c'est une belle quantité », estime John Reade, stratégiste senior Europe/Asie au World Gold Council, l'organisation internationale réunissant les acteurs du marché. « Le stock total mondial est de plus de 200 000 tonnes. Mais les banques centrales en possèdent une bonne part. On peut donc en conclure que les Français ont beaucoup d'or ! »

Ces 64 petits grammes par personne sont un petit trésor actuellement valorisé près de 6 000 euros, soit le double de 2019. La plus prestigieuse des matières est en effet en plein boom. Le 22 avril, l'once (le repère de référence de 31,10 grammes) a franchi temporairement le seuil historique des 3 500 dollars. Une hausse de 75% par rapport à janvier 2024.

Depuis, la courbe se replie un peu, mais rien ne dit que la fusée est arrivée à destination... Car comme nous l'expliquions récemment, cette ascension vertigineuse est liée à la volonté de se protéger dans une période d'incertitude. Or la situation internationale est loin de s'améliorer : les récents chiffres du PIB américain annoncent un recul « annualisé » de -0,3%. En matière de politique économique, il suffirait d'un second trimestre de baisse pour parler de récession. La peur de la récession... C'est le carburant idéal pour stimuler les envies d'or.

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Les ETF/ETC rattrapent les lingots

Tout le monde attendait donc le bilan trimestriel du WGC. Publié le 30 avril, il contient des chiffres marquants. L'achat mondial d'or d'investissement (lingots, pièces, ETF/ETC...) par les particuliers s'est élevé à 551,9 tonnes (52 milliards de dollars) entre janvier et mars. C'est 60% de plus que le trimestre précédent, et plus du double du premier trimestre 2024.

Au WGC, on parle d'« augmentation extraordinaire ! » Étonnamment, ce ne sont pas les acquisitions de lingots ou pièces (« bars and coins ») qui ont dopé la valeur. Début 2025, leur demande a été relativement stable, avec 325,4 tonnes. Une quantité similaire aux premiers et troisièmes trimestres 2024.

À l'inverse, les ETF/ETC « Gold », les titres boursiers reproduisant les indices, dépassent toutes les prévisions. Après une année 2024 en négatif (-6,7 tonnes), ils connaissent une progression fulgurante en ce début d'année, avec 226,5 tonnes d'achats (soit une valeur de 21 milliards de dollars). C'est 12 fois plus que lors du trimestre précédent ! L'or-papier rivalise avec les achats de lingots (257,6 tonnes). Voir une demande du même ordre entre le symbole de l'or physique et son équivalent synthétique, c'était inimaginable il y a quelques mois.

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La France est spéciale !

Le trésor des Français n'est pas négligeable. Les raisons sont historiques, avec des achats massifs après la Seconde Guerre. C'était alors pour se protéger contre une inflation galopante. Mais actuellement, plusieurs économistes assurent que les particuliers possèdent plus de bijoux que de lingots.

« Alors qu'on voit la demande nette reprendre en Europe, notamment en Allemagne, ce n'est pas le cas en France

Ainsi, notre pays se distingue du côté des échanges. Début 2025, nous avons plus vendu qu'acheté les « bars and coins » (-1,2 tonne). « Alors qu'on voit la demande nette reprendre en Europe, notamment en Allemagne, ce n'est pas le cas en France », tranche John Reade. Le WGC totalise même un « désinvestissement » de 3,8 tonnes en un peu plus d'un an.

Parmi les pays suivis par l'organisme international, nous sommes les seuls à afficher 5 trimestres consécutifs de baisse. Même l'Autriche et la Thaïlande connaissent meilleure fortune !

La dernière fois que notre pays a connu une telle tendance, c'était entre 2000 et 2008, avec... 34 trimestres de désinvestissement. Là encore, nous étions seuls au monde. « La France est spéciale », sourit John Reade. Même s'il faut tout de même relativiser ce résultat : -3,8 tonnes en 15 mois, c'est peu face à un stock de 3400 !

S'il est unanimement respecté, le WGC reste un groupement de professionnels. Pour corroborer les statistiques, Moneyvox a sollicité de nombreuses sources publiques et privées. Un élément nous a très vite étonnés... Banque de France, Direction générale du Trésor, Direction des douanes, Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, Fédération des Banques Françaises, Service géologique national... La majorité des organismes économiques de référence nous ont répondu ne pas avoir « réalisé d'études », ou même ne pas « détenir d'informations » sur l'or d'investissement. À croire qu'aucune institution ne suive de près la circulation des lingots ! Malgré tout, deux éléments nous permettent d'étayer les chiffres du WGC.

Les impôts. La loi française impose une fiscalité sur les transactions d'or. Elle se compose de la taxe sur les métaux précieux (TMP) et de la CRDS. Dans le cas des bijoux, un taux de 6,5% s'applique aux ventes supérieures à 5 000 euros. Pour les pièces et lingots, le prélèvement total est de 11,5% du prix de vente.

La Direction générale des Finances publiques a accepté de nous fournir l'historique de la taxe sur les 20 dernières années. 2024 constitue un record, avec 96,6 millions d'euros récupérés. C'est 50% de plus qu'en 2023, le double de 2020, le triple de 2018 et même neuf fois le chiffre de 2015.

Si l'on nous confirme que la majorité de la collecte concerne les ventes de métal jaune, il n'existe pas de statistiques par métal détaillées. Nous avons tenté de redresser les données : la TMP traduirait des ventes d'or dépassant le milliard d'euros l'année passée. À noter : les taxes s'appliquant sur la valeur, les chiffres traduisent des volumes inférieurs aux dernières décennies. Conclusion : les Français n'ont pas vendu plus qu'avant... Mais ils ont récupéré plus d'argent que jamais !

Il ne faut pas oublier un élément : les chiffres de la TMP sont partiels. Depuis 10 ans il est possible d'opter pour la taxe sur la plus-value mobilière (TPV) au lieu de la TMP, si le détenteur prouve l'origine de son or. Dégressive, et s'appliquant uniquement sur le « bénéfice », la TPV intéresse les détenteurs « long terme » et ceux dont le gain est limité.

A contrario, quand on a connu des plus-values rapides, la TMP sera moins douloureuse... même si elle grève le capital. Selon nos informations, une part importante des vendeurs de lingots et pièces choisissent l'option sur les plus-values. Les ventes sont donc bien plus importantes. De quoi valider l'idée du désinvestissement en 2024.

Impôts 2025 : « Je veux vendre de l'or, qu'est-ce que je dois déclarer ? »

Le stockage. On ne garde pas un lingot sous son lit. Pour le sécuriser, deux options sont possibles : chez soi ou en banque. Nous avons contacté, dans un premier temps, les acteurs du coffre-fort : plus d'achats sous-entendraient plus de métal à protéger. Problème : nous nous sommes heurtés à des portes verrouillées à double tour ! Au détour d'un appel, le fabricant français Forestier a tout juste glissé ne pas observer « d'évolution de la demande en France ».

Pour compléter le tableau, nous avons interrogé les banques sur les locations en chambre forte. Résultat : sur les dernières années, BNP Paribas n'a pas constaté « de regain significatif de locations » ; LCL assure que « les souscriptions et le stock de clients détenteurs de coffre sont stables » ; de son côté, la Société Générale annonce « une baisse du nombre de locations ». Cela confirme l'absence de folie acheteuse.

Pas très lingots, les Français

Comment expliquer que nous soyons les seuls en territoire négatif pour les « bars and coins » ? Il y a sans doute une dimension culturelle. « Ce n'est pas un pays de demande naturelle forte pour l'or d'investissement », juge John Reade. Depuis la dernière crise mondiale, il signale que les achats ne culminaient au mieux qu'à « une ou deux tonnes » par trimestre. Le stratégiste lie cela à un manque de compréhension du marché.

« Nous sommes le pays de la carte bancaire. L'or physique intéresse peut-être plutôt les pays utilisant les billets. »

Un tel décalage avec le reste du monde n'« étonne pas » Jean-Michel Beacco, professeur en finances à Paris Dauphine et président du département Sciences économiques, gestion, finance de l'école des Ponts. « J'ai l'impression qu'en France, soit les gens sont très peu avisés, et en restent au Livret A et à l'investissent immobilier. Soit ils sont très avisés, et vont diversifier leur portefeuille. » Il fait le parallèle avec les outils de paiement. « Nous sommes le pays de la carte bancaire. L'or physique intéresse peut-être plutôt les pays utilisant les billets. » Quels pays européens sont amateurs de cash ? L'Allemagne, la Suisse, voire la Grande-Bretagne. Des marchés bien plus dynamiques pour les lingots. Ce n'est sans doute pas une coïncidence...

La sécurité avant tout ?

Autre argument favorable au désinvestissement français, c'est sans doute le besoin d'argent dans une période difficile. « Ces chiffres, cela veut peut-être dire qu'on est pauvres », suggère le professeur Jean-Michel Beacco. John Reade nuance cette idée, précisant que toute l'Europe est concernée. « La hausse des factures d'énergie et l'inflation ont limité l'achat d'or. Quand on voit les investisseurs revendre, cela peut être un signe de détresse financière. » Il mentionne tout de même les études démontrant « le sentiment négatif » sur le niveau de vie dans notre pays. « Cela provoque sans doute des prises de profits. »

Il ne faut pas omettre que les Français ont un faible pour les placements sécurisés. « Au niveau macroéconomique, on a vu une grosse tendance au retour vers le Livret A et l'assurance vie », observe Alain Carbonne, professeur d'économie et ancien membre de la Direction générale du Trésor. La hausse des taux d'intérêt a clairement boosté l'attrait pour l'épargne règlementée et les fonds euros. « On peut se demander si les Français n'ont pas choisi de récupérer et protéger leur capital, comprend l'économiste. En pensant que le gros de la plus-value est faite. »

Là encore, la tendance est européenne : selon John Reade, un mouvement du même ordre serait visible en Allemagne. Mais il reconnaît que les produits français exemptés de fiscalité ont sans doute amplifié le phénomène.

Jean-Michel Beacco en est donc convaincu : « pour certains, c'est une simple prise de profits. Quand le marché fait 30% en peu de temps, c'est tout à fait normal de vendre. » Il imagine même que beaucoup d'investisseurs ont simplement « pris leurs intérêts, sans couper la position ».

Le French paradox !

Il ne faut pas en déduire que la romance entre la France et le métal jaune est terminée. Car il existe un « grand écart ». Nous sommes à la fois les seuls à survendre lingots et pièces, tout en restant un marché important pour les ETC, ou fonds indiciels. Dans le milieu, on parle d'un « French paradox » !

Nous avions pu le vérifier auprès de l'Autorité des Marchés financiers, mi-février. L'institution avait accepté de compiler les transactions récentes des particuliers concernant l'or-papier. L'AMF n'a accès qu'aux éléments relevant de sa compétence : l'ensemble des flux concernant les fonds français et les transactions des opérateurs tricolores pour les ETC étrangers. Les statistiques sont donc incomplètes. Malgré tout, les chiffres sont explicites.

Entre l'automne 2023 et mi-février 2025, les achats/ventes du Top 20 des ETC ont représenté 295 millions d'euros. C'est plus du double que lors des 18 mois précédents (124,5). Et la courbe est exponentielle : 87,1 millions d'euros échangés lors du seul « T4 2024 », 48,5 avaient déjà été investis sur les 45 premiers jours de 2025... Même lors du pic de la période Covid, on n'avait pas connu pareille activité !

Regain d'attrait

Un chiffre de l'autorité confirme la réaction de nos concitoyens à la hausse de l'or : la collecte nette (les achats retranchés des ventes). En chute entre 2022 et 2023, elle a décollé depuis 2024. Alors que le premier trimestre 2025 débutait à peine lors de l'extraction de l'AMF, en février, 48,5 millions d'euros avaient déjà été investis dans les ETC or... C'est 15 fois plus que début 2019, et 5 fois le résultat du premier trimestre 2024.

Là encore, on dépasse largement les chiffres de la crise sanitaire. Pour la petite histoire, deux ETC représentent plus des 2/3 des transactions monitorées par l'AMF : Amundi Physical Gold ETC (domicilié en Irlande) et Gold Bullion Securities ETC (Jersey).

Il nous fallait donc plus de données. En exclusivité, le Conseil mondial nous a fourni une mise à jour de ses chiffres à fin avril. L'assiette est plus large que l'AMF, car le groupement mondial croise de nombreuses sources, y compris autodéclaratives. Ce qui permet d'avoir un résultat est plus précis... Mais avec une limite : il est uniquement validé par les acteurs du marché.

Ce qui est sûr, c'est qu'il confirme le regain pour l'or papier. Au 25 avril, les Français détenaient 7 milliards d'euros de parts d'ETC, soit l'équivalent de 74,3 tonnes d'or. C'est 14% de plus que début janvier (+9,16 tonnes) et +24% par rapport à fin 2023 (+14,5 tonnes). L'explosion semble moins impressionnante que la courbe de l'AMF... mais le tableau du groupement mondial compare les poids, et non les valeurs. Et sur les 16 derniers mois, l'once d'or a augmenté de plus de 50%.

Les 14,5 tonnes d'augmentation en 16 mois représentant, au cours du métal jaune de fin avril, 1,3 milliard d'euros. Dont 850 millions depuis le 1er janvier. Cela fait beaucoup d'argent injecté ! « C'est bien plus que le désinvestissement des bars and coins », se satisfait le stratégiste John Reade.

« Les particuliers se modernisent. L'or papier est plus pratique, plus liquide. »

Quel est le mystère du French paradox ? Le professeur de Paris Dauphine Jean-Michel Beacco évoque un possible changement d'approche. « Les particuliers se modernisent. L'or papier est plus pratique, plus liquide. » Il indique que les ETC sont par exemples parfaits pour faire des « allers-retours », achats/ventes rapides dégageant un bénéfice à très court terme. Car à la différence d'un lingot, on pourra se délester de son titre presque instantanément.

L'économiste Alain Carbonne ajoute que les chiffres « physiques ne reflètent pas une baisse de la demande. » Il prédit plutôt les prémices d'une transition. « Peut-être que l'or papier se substitue progressivement au placement physique. Il évite de nombreuses contraintes. Cela semble logique que la proportion des titres augmente graduellement. » « On peut imaginer un transfert sur une longue période, rebondit Jean-Michel Beacco. Les ETF/ETC, ce sont des produits simples à comprendre, que l'on peut acheter facilement sur son téléphone ! »

John Reade ne réfute pas cette idée de mutation. Mais peu importe : quel que soit le support, l'objectif du WGC est de stimuler la demande. Le stratégiste apprécie donc le frémissement des ETC dans notre pays. « Nous les avons inventés dans les années 2000 pour rendre l'or plus populaire et accessible. » Et si notre demande reste en deçà de nos voisins européens, il y voit « une opportunité. Il faut passer plus de temps à dire aux Français qu'ils ont tout intérêt à posséder de l'or ! » La chasse au trésor aboutira peut-être à du papier plutôt qu'à des pépites.

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Et les bijoux ?

La France, pays de la joaillerie ? Alors que la demande mondiale est en baisse de 21% en un an et de 31% sur le dernier trimestre, le solde d'achat français est, selon le WGC, positif : +3 tonnes de janvier à mars. C'est plus que l'Allemagne (+0,9) ou le Royaume-Uni (+2,5), nos voisins amateurs de lingots. Sur 15 mois, la demande représente plus de 17 tonnes, soit 1,5 milliard d'euros.

Mais les chiffres sont plus impressionnants dans les statistiques françaises du commerce extérieur. L'importation de « bijoux en métaux précieux autres que l'argent » (donc majoritairement en or) représente 212 tonnes en 2024 (253 en 2023). Soit près de 20 milliards d'euros au cours actuel. Les joailliers français ont de leur côté exporté plus de 340 tonnes par an.

Pour le stratégiste John Reade, la bijouterie n'a rien à voir avec un placement. « Dans le monde développé, la décision d'achat correspond à un choix de plaisir, pour leur beauté, leur qualité. » D'autant que la valeur « ne correspond pas du tout au poids. Il y a un premium sur le prix très important. »