L'or brille plus que jamais. Depuis un mois, le métal jaune a basculé en « price discovery ». Dans le langage boursier, cela décrit une valeur qui a dépassé son plus haut historique, et « découvre » de nouveaux prix. On pensait le pic atteint le 24 février, lorsque l'once (l'unité de référence, soit 31,10 grammes) avait culminé à 2956,22 dollars. Mais vendredi, la matière précieuse s'est envolée au-delà des 3 000 dollars l'once, soit plus de 96 000$ le kilo. En 25 ans, son prix a donc été multiplié par 10 !
Confiance
Comment expliquer de tels records ? Dans le monde des affaires, l'adage est bien connu : « En temps de crise, l'or est la valeur refuge. » Ce placement est donc très recherché pour sécuriser ses positions, en cette période d'incertitudes économiques et politiques.
Car l'or bénéficie d'un prestige unique. « Il a très vite été le symbole de la royauté, la plus belle valeur de nos civilisations », confie l'économiste Jean-Michel Beacco, professeur en finance à Paris Dauphine et président du département Sciences économiques, gestion, finance de l'école des Ponts.
Dès l'Antiquité, le matériau était d'ailleurs utilisé en tant qu'ornement et pour les échanges... Rapidement, il devint un « étalon », portant une garantie constante de valeur pour les biens et devises. Des personnages antiques, comme le fameux Crésus, établirent des parités or-blé, or-argent... La raison est simple : il inspire confiance.
« C'est une matière première qui est très rare et a toujours de la valeur, confirme Alain Carbonne, professeur d'économie et ancien membre de la Direction générale du Trésor. On lui accorde un certain prestige. »
Crédibilité internationale
Posséder de l'or a toujours été symbole de richesse et puissance. « On le retrouve du côté des mafias, dans les marchés de l'argent sale », rappelle Jean-Michel Beacco. Mais également dans les réserves des banques centrales : qui n'a pas entendu parler du mythique Fort Knox ? Les États-Unis sont le premier possesseur de lingots au monde, avec près de 8 133 tonnes (plus de 777 milliards de dollars, aux cours actuels). En détenant 2 437 tonnes, la France se classe au 4e rang mondial, derrière l'Allemagne (3 352) et l'Italie (2 452).
Avec cette accumulation de lingots, les États confirment le côté stable et sûr de l'or. De quoi asseoir sa crédibilité auprès des investisseurs. Même lors des crises économiques. « Pendant le Covid, le cours est monté fortement, en plein point bas de l'activité, lors du 2e trimestre 2020 »; souligne Alain Carbonne. « Il valait 30% de plus qu'un an plus tôt. » Lors de la chute des « subprimes », en 2008-2009, les choses ont été « moins nettes. Les prix sont restés relativement stables. »
Ce qui dit tout de même quelque chose : « Être stable dans un contexte de récession, c'est déjà beaucoup, reprend Alain Carbonne. Pendant ce temps, le cours du CAC avait été divisé par près de 2 ! » En ne dévissant pas avec les bourses, l'or joue à plein son rôle de « couverture ». « Structurellement, cela protège contre les effondrements, les krachs boursiers. En séries longues, la tendance est soit une augmentation de son prix par phases, soit une stagnation, à l'exception des reculs observés dans les années 80. »
« On a des lingots parce qu'on pense que la fin du monde est proche ! Mais le jour de la fin du monde, l'or ne vaudra plus rien ! »
Placement de la peur
D'où le terme de refuge. « Cela définit un actif qui, en cas d'énorme krach, conserve de la valeur, et permet de faire face à ses besoins », explicite Philippe Crevel, directeur du Cercle de l'Épargne, think tank dédié aux sujets financiers. « Dans cette définition, on est bien forcé d'admettre que l'or est une valeur refuge. »
Malgré tout, l'économiste est très critique sur la matière première. « Cela ne rapporte rien. Pas d'intérêts, pas de dividendes... » Il y voit même à un « placement de la peur » ! « C'est cette peur qui lui donne de la valeur ! Ceux qui en achètent en vendent peu en général, ne prennent pas leurs plus-values. Ils sont heureux d'avoir leur tas d'or ! » Un placement extrêmement « sécuritaire » : même lors des pics, les particuliers ont tendance à le conserver. « On a des lingots parce qu'on pense que la fin du monde est proche ! Mais le jour de la fin du monde, l'or ne vaudra plus rien ! »
Alain Carbonne a un avis un peu moins tranché. Selon son profil, la perspective de stabilité fait que « cet investissement peut représenter un choix intéressant, de bon père de famille ».
Malgré tout, il signale que son rendement n'est pas immense. « Le marché actions est plus dynamique ! » Depuis décembre 1987, il chiffre la performance annualisée de l'indice des valeurs américaines S&P 500 à 9%, contre 5% pour l'or. Forcément, le reporting récent n'a rien à voir : une personne qui aurait acheté le métal jaune il y a deux ans aurait déjà, à ce jour, vu son placement gagner 55% !
Trop tard pour investir ?
La question se pose : refuge ou pas, est-il opportun de se positionner aujourd'hui, au plus haut ? Le professeur Alain Carbonne n'en est pas sûr. « La hausse a été importante ces dernières années, dans le contexte des tensions géopolitiques, de la hausse de l'inflation et des craintes de récession aux USA. » À ses yeux, « le côté valeur refuge a déjà joué son rôle ».
Ce constat semblait clair en février. Or depuis début mars, les discours se libèrent sur le spectre d'une récession américaine. Et bien sûr... l'or a explosé ! Toutefois, le spécialiste n'imagine pas que la montée « parabolique » se poursuive. « On ne peut pas vraiment s'attendre à ce que le rendement soit aussi élevé que pendant les dernières années. » À nouveau, ce serait historique.
Philippe Crevel suggère donc que ce n'est « pas forcément le meilleur moment d'acheter. Le point d'entrée est très cher. » Des conflits mondiaux pourraient propulser l'or vers de nouveaux sommets. Mais l'inverse est également possible. « Il faut rester prudent. On n'est pas à l'abri d'une baisse rapide ! » D'ailleurs, l'économiste recommande à ceux qui ont investi il y a quelques années de vendre ! « Il faut savoir prendre ses plus-values ! »
Il cite l'exemple de 1980, après le premier choc pétrolier. « L'or avait battu des records impressionnants... » Mais les cours ont ensuite fortement baissé. « Il a fallu plus de 20 ans pour retrouver le même niveau de prix. Soit une génération ! » En achetant à un cours inédit, le risque est alors de « resté scotché quelques années ! Je ne dis pas que l'or ne va pas continuer à monter, mais il ne faut pas être dans le mauvais train. »
D'autres refuges ?
Et si l'on changeait de voie ? D'autres actifs viennent contester son leadership de valeur refuge. Alain Carbonne cite par exemple les devises, et notamment le franc suisse. « Cela marche très bien, car son cours augmente tendanciellement, assure-t-il. Le pays enregistre des excédents dans les flux de biens et services vis-à-vis de l'étranger de manière structurelle. » Cette balance positive contribuerait à près de 8% du PIB helvétique. Et le chercheur l'assure : c'est une alternative intéressante, lors des crises de la zone Euro.
La monnaie suisse, le nouvel eldorado ? L'économiste Philippe Crevel nuance les choses. S'il ne nie pas sa force, il identifie certaines limites. « L'inconvénient, c'est qu'il y en a peu. Le cours peut donc augmenter très vite ou baisser fortement. Et la politique de la banque centrale suisse est parfois un peu difficile à lire. » Il juge que l'euro est désormais plus « fort ».
Le directeur du Cercle de l'épargne recommande plutôt le dollar américain. « C'est la vraie monnaie de réserve ! Les États-Unis sont la première puissance économique et militaire mondiale. » D'ailleurs, il glisse que la Russie et la Chine détiennent de nombreux billets verts. « Lors des crises géopolitiques, comme actuellement, le dollar s'apprécie, assure Philippe Crevel. On peut vraiment parler de valeur refuge. Je connais des personnes qui en ont dans leur coffre. »
Du côté de Paris Dauphine, Jean-Michel Beacco identifie d'autres matières premières qui émergent. « Avant, l'indice de l'or provoquait un effet Waouh. Maintenant, le cuivre, c'est magique aussi ! En plus de la valeur symbolique, il y a une réalité physique. » Il mentionne aussi des « métaux rares », comme le nickel, le lithium, le cobalt. Leur point commun : ils sont indispensables pour les produits électroniques.
« On trouve de nombreux fonds hybrides, avec de l'or, et beaucoup d'autres choses. Plutôt qu'une valeur refuge, on crée des fonds refuges ! »
Crypto : refuge ou pas ?
Étonnamment, Jean-Michel Beacco poursuit avec les cryptomonnaies ! « Comme l'or, il y a un effet rareté. Les gens en veulent, il n'y en a pas beaucoup... Il a atteint la maturité d'un produit refuge ! » Puisque « les banques centrales ont décidé d'en acheter », qu'il est devenu « une monnaie au Salvador » et que « les professionnels le considèrent », le débat est à ses yeux terminé.
« À terme, tout le monde en voudra dans son portefeuille. Il n'est pas nécessaire d'en avoir énormément. Vu la volatilité, le bitcoin peut faire 30% en un jour, quand la bourse fait 1%. On a donc besoin de 30 fois moins de liquidités pour le même risque », souligne-t-il Mais plutôt que de choisir, il propose d'acheter un peu de tout. « On trouve de nombreux fonds hybrides, avec de l'or, et beaucoup d'autres choses. Plutôt qu'une valeur refuge, on crée des fonds refuges ! »
Bitcoin : qui a intérêt à tout vendre ?
Philippe Crevel se montre plus hésitant avec le bitcoin. « Les cryptos sont risquées, car très fluctuantes. On constate qu'elles suivent les cours de l'or et du Nasdaq. » L'indice des valeurs technologiques américaines a pris son envol, avant de s'affaisser plus récemment. Dans son sillage, bitcoin et consorts ont connu un krach. « Mieux vaut être prudent. Il s'agit d'un actif de diversification, qui ne doit pas dépasser 5% de son capital. »
Par contre, si l'on cherche un placement sûr, stable, et qui rapporte, il glisse une autre option : les obligations d'État. « Les taux sont remontés, c'est pas mal. On a la sécurité de s'adosser à des États. Et quitte à vouloir du « safe », autant obtenir des intérêts ! » Sinon, il reste une option, plutôt stable, qui peut produire des intérêts et qui nous sert au quotidien : les euros. Et si, finalement, le refuge, on l'avait déjà dans notre poche ?
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