C'est niet. A la question « Seriez-vous favorable ou opposé(e) à l'affectation d'une partie des fonds du Livret A au financement de la Défense ? », une majorité de Français répond non, selon un sondage (1) de l'institut YouGov pour MoneyVox. Dans le détail, 59% des personnes interrogées y sont opposées, contre 19% favorables et 22% ni l'un ni l'autre.

Le mois dernier, le président de la République a indiqué qu'il « n'excluait pas » de « lancer des produits d'épargne » et de « faire appel à la nation » pour « financer certains programmes » de défense français. Après l'annonce par les Etats-Unis de la suspension de leur aide à l'Ukraine, et face à « la menace russe », Emmanuel Macron estime qu'à l'horizon 2030 la France aura « doublé le budget de [ses] armées en presque dix ans », et qu'elle doit réaliser « de nouveaux investissements qui exigent de mobiliser des financements privés mais aussi des financements publics, sans que les impôts ne soient augmentés ».

La piste de l'épargne réglementée

Parmi les multiples pistes envisagées : flécher vers la défense une partie des près de 700 milliards d'euros de l'épargne réglementée existante disponible sur les Livrets A, les Livrets de développement durable et solidaire (LDDS) ou encore les Livrets d'épargne populaire (LEP). Une idée déjà votée par le Sénat en mars 2024, avant que la dissolution ne stoppe son parcours législatif.

Les résultats de notre sondage ne surprennent pas l'économiste Philippe Crevel. Pour ce spécialiste de l'épargne réglementée, ils traduisent, notamment, « la crainte entretenue sur certains réseaux sociaux que l'Etat va vous prendre un morceau de votre Livret A pour financer la défense, ce qui n'est pas le cas ».

« La rumeur est également propagée sur YouTube, mais aussi par des responsables politiques de la droite souverainiste : par exemple Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France, qui dénonce sur les plateaux télévisés la volonté de l'Etat de « piquer l'épargne des Français », ou Florian Philippot, président des Patriotes, qui évoque sur X « l'épargne qui va être ponctionnée », souligne l'AFP.

« Hors de question de confisquer l'épargne de qui que ce soit »

De son côté, le ministère de l'Economie assure qu'il est « hors de question de confisquer l'épargne de qui que ce soit ». Une pratique qui serait d'ailleurs illégale, d'après plusieurs experts.

Dans tous les cas, l'utilisation de l'épargne des Français pour financer des investissements ne serait pas une nouveauté : les fonds déposés sur les Livrets A servent actuellement à financer le logement social, des infrastructures de transport collectif et d'eau potable ou encore à réhabiliter des bâtiments publics, comme l'explique notre article consacré à l'utilisation de l'argent du Livret A. En contrepartie, les dépôts des ménages sur les livrets d'épargne réglementée sont rémunérés à hauteur de 2,40% depuis le 1er février pour le Livret A et le LDDS et 3,5% pour le LEP. Par ailleurs, l'Etat garantit que chaque épargnant puisse accéder à ses fonds à tout moment.

Un emprunt national ou un livret d'épargne spécial ?

Autres solutions avancées ces derniers jours pour aider au financement de la défense : le recours à un emprunt national ou encore la création d'un livret d'épargne dédié. Selon notre sondage, là encore 55% des personnes interrogées ne souhaitent pas souscrire à ce type de placement. Seuls 21% des sondés se disent prêts. Des résultats qui n'étonnent pas Philippe Crevel : « Il faut évidemment voir que pour un grand nombre de ménages, aujourd'hui, il est difficile d'épargner. “L'effort d'épargne” est concentré parmi les 20% les plus aisés qui en réalise plus des deux tiers. Et parmi les 40% des ménages les moins aisés, les possibilités d'épargne sont faibles, voire inexistantes. »

Mais ce n'est pas la seule explication. « Sur ce type de produit, la crainte, c'est aussi la sécurité. Les Français se disent “Est-ce que je vais retrouver mon argent ?”. “En finançant la défense, est-ce que en fait je ne vais pas investir en pure perte ?”, et ce dans un contexte où l'État est endetté avec des crises qui se multiplient. » A cela peuvent s'ajouter également des facteurs politiques. « Étant donné que nous sommes dans une crise politique majeure, avec des oppositions marquées, une partie de la population peut considérer qu'elle ne souhaite pas participer à l'effort de défense car il est porté par l'Arc républicain ».

Davantage de détails sur les solutions envisagées pour soutenir le financement de la défense seront dévoilés le 20 mars. Le ministre de l'Économie, Eric Lombard, et le ministre des Armées réuniront, à Bercy, les banques, assurances et fonds d'investissement « afin de les mobiliser » alors qu'actuellement, « trop souvent, les règles ne permettent pas d'investir dans le secteur de la défense ».

3 placements privilégiés pour financer la défense

« Un certain nombre de Français (...) ne savent pas que leur épargne va à tout le monde sauf à la défense », a fait savoir dimanche dernier, la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin, notant « une prise de conscience en Europe et en France » pour savoir si « on ne devrait pas supprimer ces exclusions ».

Ce mercredi, le ministre de l'Economie a indiqué qu'il n'est « pas sûr qu'un livret dédié soit une solution puisqu'il y a déjà beaucoup d'outils d'épargne qui existent, que ce soit les fonds du Livret A (...) ou les fonds qui sont sur l'ensemble des véhicules d'investissement gérés par les banques, par les assureurs, par les gestionnaires d'actifs... C'est surtout cette épargne que nous souhaitons mobiliser afin que, effectivement, les Françaises et les Français participent à cet effort qui nous permettra d'assurer la sécurité de notre pays et de l'ensemble de l'Union européenne ».

A ce stade, Bercy semble privilégier trois produits d'épargne de long terme : les plans d'épargne retraite, l'épargne salariale et les contrats d'assurance vie. Selon Philippe Crevel, l'Etat pourrait envisager de créer un fonds de « défense nationale ». Celui-ci pourrait être proposé aux épargnants afin d'y investir via des unités de compte disponibles dans les contrats d'assurance vie ou d'épargne retraite ou via des parts d'OPC sur un comptes titres ou un plan d'épargne en actions (PEA).

(1) L'enquête a été réalisée, par YouGov à la demande de MoneyVox, auprès 1 005 personnes représentatives de la population nationale française âgée de 18 ans et plus. Le sondage a été effectué en ligne, sur le panel propriétaire YouGov France du 11 au 12 mars 2025.