L'essentiel
- Les femmes investissent en moyenne moins que les hommes en raison de revenus moins importants et d'une approche socioculturelle différente de l'argent.
- Conseils financiers, formations... Différentes initiatives ont été mises en place pour les accompagner.
- Objectif, faire fructifier un patrimoine et s'assurer une sécurité financière.
Depuis le 13 juillet 1965, les femmes peuvent disposer de leur propre compte bancaire et ont le droit de travailler sans l'accord de leur mari. Mais ces 60 années n'ont pas suffi à effacer les inégalités face à l'argent et au patrimoine. Plusieurs enquêtes montrent que les femmes investissent en moyenne moins que les hommes. L'autorité des marchés financiers avait consacré un baromètre à cette question en 2023. 22% des femmes interrogées déclaraient alors posséder un produit d'investissement au sein de leur foyer, contre 36% des hommes (1).
Autre exemple plus récent, le baromètre SPAK - OpinionWay publié en mars 2025, qui indique que si seuls 18% des sondés déclarent investir en Bourse, il y a une nette différence entre les hommes (27%) et les femmes (10%). Par ailleurs, 59% de la population estime ne pas disposer des informations nécessaires pour prendre des décisions éclairées en matière d'investissement, mais le chiffre monte à 65% chez les femmes.
Des freins
Pourquoi un tel écart ? Anne-Laure Frischlander-Jacobson, fondatrice d'Evvest, une plateforme digitale de conseils en investissement, explique que « les femmes ont des revenus moins importants (2), une aversion au risque et une approche socioculturelle différente sur l'utilité de l'argent. Quand elles pensent investissement et argent, elles pensent projet et long terme, alors que les hommes pensent davantage en termes de gains assez court terme. »
Héloïse Bolle, qui a créé la société de conseils Oseille & compagnie en 2018, invite également à voir plus loin qu'une aversion aux risques. « Une femme qui élève deux enfants avec une pension alimentaire qui n'est pas versée, qui est en temps partiel subi, oui, elle n'aime pas le risque parce que la société lui en fait déjà subir assez. Le premier frein, c'est l'argent. Les femmes ont des revenus moins élevés, empruntent moins en cas d'investissement immobilier... Il y a énormément de mécanismes qui font qu'elles sont entravées dans leur capacité à s'enrichir. »
« La finance a raté son virage auprès des femmes »
Autre facteur, les codes et représentation de la finance sont « très masculins. Par exemple, les cryptomonnaies, avec un univers gaming, centré sur la performance. Je suis dans le domaine depuis longtemps, ce qui m'étonne, c'est que dans le reste de la société, les femmes sont arrivées dans la plupart des métiers, mais pas dans la finance et particulièrement dans la prise en main du sujet des investissements financiers », regrette Anne Gaignard, directrice générale de Place des investisseurs. L'association a pour vocation de rassembler et de former une communauté d'investisseurs avertis. Parmi les adhérents, 72% d'hommes et 28% de femmes.
Anne-Laure Frischlander-Jacobson y voit également un lien. « La finance a raté son virage auprès des femmes, elle n'est pas assez tournée vers elles, notamment parce qu'elles ne sont pas assez nombreuses à y travailler. Je pense par ailleurs qu'on n'intéresse pas assez les jeunes filles à la gestion de l'argent. Plus il y aura des femmes dans la finance, plus on pourra véhiculer cet intérêt et plus les femmes pourront proposer des produits financiers qui leur parleront. »
Des solutions pour changer la donne
Signe positif, des initiatives se mettent en place pour les accompagner. Anne-Laure Frischlander-Jacobson a choisi ce credo pour Evvest depuis son lancement en 2024. Avec la stratégie de miser sur des produits financiers plus susceptibles de convaincre les femmes.
« Nous avons une approche sur du long terme inspiré de la gestion des fonds de pension, un noyau d'investissements passifs avec de faibles coûts, comme les ETF, auquel on associe des gestions à forte valeur ajoutée (alternative, immobilier, private Equity) très diversifiés. Pour les plus averses au risque, nous proposons une dynamisation progressive sur la base d'un investissement sur du fonds en euros, avec des performances intéressantes. Cela permet d'avoir une tranquillité tout en profitant à son rythme d'une prise sur les marchés. » Autre volonté, mettre en avant l'investissement responsable avec une thèse d'investissement sur 6 thématiques auxquelles les femmes sont de plus en plus nombreuses à y être sensibilisées
Tracker : tout savoir pour investir en bourse avec des ETF
« Depuis les débuts d'Oseille & compagnie, j'ai pour objectif de faire de la gestion financière accessible aussi pour les petits patrimoines, qui ne sont pas servis par la gestion de patrimoine traditionnelle, en portant une attention particulière aux personnes qui ont le plus petit salaire au sein d'un couple, le plus souvent les femmes. Ce sont donc plutôt elles qui nous sollicitent », explique quant à elle Héloïse Bolle.
Une volonté qui l'a poussée à adopter un mode de facturation moins courant. « Dans un modèle traditionnel, la rémunération est sur l'encours, cela pousse à s'occuper de la personne qui a le plus d'argent, puisque cela rapporte plus. Nous facturons au rendez-vous, avec un forfait. »
On peut aussi citer le cabinet de conseils La Crèmerie, fondé par Maëlle Caravaca avec l'objectif « d'accompagner les femmes jusqu'à l'indépendance en investissant avec impact ». Sans aller jusqu'à la gestion de patrimoine, l'application Plan Cash propose quant à elle une newsletter et de nombreux outils sur les finances personnelles pour « accroitre l'indépendance financière des femmes ». Autres ressources, les podcasts Osons l'oseille de ViveS média ou Rend l'argent de Titiou Lecoq ainsi que le compte Instagram Mon budget Bento.
Autre proposition récente de l'association Place des investisseurs, une série de formations en avril et mai, pour faciliter l'accès des femmes à l'investissement. Leur but, reprendre les notions basiques des finances personnelles. Au programme, la différence entre épargne et investissement, les règles de base (connaître ses dépenses courantes, garder un matelas de précaution, évaluer ses charges), le concept de l'inflation, les différents livrets et classes d'actifs...
« C'était la première fois que ce module de formation était destiné exclusivement aux femmes. Cela part d'un retour d'expérience de précédentes formations : quand le public était mixte, assez naturellement, les hommes prenaient la parole, mais les femmes ne se sentaient pas légitimes pour le faire », explique Anne Gaignard.
« On peut commencer à investir dès 1 000 euros »
« Il faut parfois passer du temps à tout décrypter, car les femmes pensent qu'elles ont une culture financière très basse », remarque aussi Héloïse Bolle, qui rencontre des personnes ayant un patrimoine très varié. : « Dans la même journée, nous pouvons voir quelqu'un avec 1,5 million sur ses comptes et une autre personne qui a 10 000 euros. »
Même constat pour Anne-Laure Frischlander-Jacobson qui s'attache à rappeler qu'« on peut commencer à investir dès 1 000 euros. Certaines femmes assez jeunes nous contactent, car elles veulent investir dès maintenant, certaines, plus âgées, veulent sécuriser leur départ à la retraite, ou viennent après un héritage. »
Objectif, faire fructifier un patrimoine, mais surtout s'assurer une sécurité. « J'ai une sensibilité forte pour accompagner les femmes lorsqu'elles se sentent vulnérables comme après une séparation, alors que de nombreuses femmes sont démunies, car elles ont toujours laissé leur mari gérer l'argent », constate-t-elle.
Des situations qu'Héloïse Bolle connaît bien. « Il y a un moment où les femmes décrochent et délèguent à leurs compagnons, notamment lorsqu'elles ont des enfants jeunes, car elles ont trop de choses à gérer. J'avais conscience des déséquilibres, mais ce n'étaient que des statistiques. Je me suis retrouvée face à des scénarios douloureux. Contrairement à ce qu'on peut entendre avec des phrases du type « il s'est fait plumer », dans mon bureau, 80% des personnes lésées sur le plan financier par le mariage et le couple sont des femmes. Il faut qu'elles comprennent les risques qu'elles prennent à ne pas se préoccuper de leurs finances personnelles. »
Quels conseils, alors ? Pour Anne Gaignard, l'important est principalement de se former à ces sujets. « Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise solution entre gérer seule ou se faire accompagner, mais le tout, c'est d'avoir un minimum de connaissance pour exprimer ses choix et de comprendre ce que dit le conseiller ou le banquier ».
Héloïse Bolle donne aussi quelques clefs : « Sans regarder ses comptes tous les jours, il vaut mieux prendre des décisions pour le long terme qui vous feront avancer aussi quand vous n'avez pas le temps. Par exemple, un achat immobilier dans lequel vous avez une part significative ou un investissement avec versement automatique. »
Elle recommande également « de réfléchir au manque à gagner entraîné par chaque décision au sein d'un couple. Par exemple, si vous posez vos mercredis pendant 10 ans, vous vous privez de 20% de votre salaire et de vos cotisations retraite. C'est énorme, il n'y a pas de raison que ça ne soit pas partagé par les deux parents. »
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Meilleures performances
« Les femmes ont un complexe par rapport aux hommes et se disent souvent qu'elles sauront moins bien faire, mais dans la réalité, lorsqu'elles investissent régulièrement et sur le long terme, elles ont souvent de meilleures performances que les hommes », détaille Anne Gaignard
C'est ce qu'a montré une étude de Trade Republic (3). En 2023, les clientes de la banque en ligne obtenaient des rendements plus élevés de 2% que les hommes sur leur épargne. D'après les données recueillies, en moyenne, les femmes commencent à investir deux ans plus tard que les hommes et commencent avec 30% de capital en moins.
Comment l'expliquer ? Une piste de réponse, selon Goodvest : « Là où les marchés peuvent provoquer des réactions de panique chez certains épargnants, les femmes conservent leur cap, illustrant une approche plus prudente et durable. (...) Une capacité de recul que vient appuyer une étude de l'Université d'Essex (2025), révélant que les femmes sont moins sensibles aux informations émotionnelles dans leurs décisions financières — un facteur clé de stabilité en période de marché tendu. »
(1) Etude de mars 2023, les femmes et l'investissement. Le constat est le même côté assurance vie en unités de compte : 19,5% des femmes déclaraient en posséder au sein de leur foyer, contre 24,9% des hommes, pour l'épargne salariale (14,8% des femmes, contre 18,6% des hommes), ou encore l'épargne retraite (20,4%, contre 24,7%).
(2) Les femmes disposent de salaires en moyenne 22% moins élevés en 2023 et d'un montant de retraite de droit direct inférieur de 38% à celui des hommes en 2022.
(3) Étude consultable ici