L'essentiel
- L'Autorité des marchés financiers met en garde contre l'usage de l'intelligence artificielle, comme ChatGPT, pour donner des conseils en investissement financier.
- Des professionnels de la finance admettent que l'IA peut être utile pour fournir des informations de base, mais ne peut remplacer un conseil financier professionnel.
- L'IA est considérée comme un outil potentiellement précieux pour vulgariser des concepts financiers complexes, plutôt que de prendre des décisions d'investissement.
Faut-il faire confiance à ChatGPT pour gérer votre épargne ? Récemment, l'Autorité des marchés financiers (AMF) publiait une mise en garde : ces outils, aussi sophistiqués soient-ils, « ne remplacent pas le conseil en investissement d'un professionnel de la finance ».
Pourtant, force est de constaté que depuis plus d'un an, l'intelligence artificielle s'invite dans les conversations financières : certains s'en servent pour comprendre un produit d'épargne, d'autres pour obtenir un avis rapide sur un PER, une assurance vie ou la fiscalité d'un investissement. Mais derrière l'effet de mode, une question demeure : jusqu'où peut-on s'appuyer sur l'IA pour gérer son argent ?
« L'IA m'aide à y voir clair » : ces Français qui utilisent ChatGPT pour gérer leur argent
« Il est tentant de croire qu'un robot-conseiller ou un agent virtuel saura répondre à toutes les questions d'un investisseur de façon optimale, estime Figen AI, entreprise dédiée aux professionnels du patrimoine et de la finance qui propose une suite d'assistants IA spécialisés. Or l'illusion d'une intelligence infaillible se heurte vite à la réalité. D'abord, aucune IA ne peut prédire avec certitude l'évolution des marchés ou saisir pleinement les nuances de chaque situation personnelle. »
Une information souvent parcellaire
Pour Aymeric Richard, directeur du cabinet Chartrons Patrimoine, l'usage reste encore très minoritaire chez ses clients. Pour lui, si ChatGPT « permet de récolter une partie de l'information, cet outil reste parcellaire. Si vous demandez des informations à l'IA sur l'assurance vie par exemple, on va peut-être vous dire ce qu'est une assurance vie de manière détaillée, mais pas quelle place elle peut prendre dans votre patrimoine et en quoi elle peut être ou non une bonne solution pour votre projet. »
Il reconnaît cependant que l'IA est un « bon levier pour avoir une conversation plus approfondie avec un client », car elle peut permettre de répondre au déficit de connaissance financière de la majorité des épargnants. « À l'école, personne n'apprend à gérer son budget ou son épargne, ce n'est pas inné. L'IA est intéressante dans le sens où elle va donner accès de manière approfondie à la connaissance sur les principes de la gestion de patrimoine, comme peut le faire internet. Pour les conseillers en gestion de patrimoine, être face à un épargnant averti pourrait finalement faire gagner du temps et permettre d'aller encore plus loin dans les solutions proposées. »
« Mes clients arrivent parfois avec des notions mal comprises ou des raisonnements biaisés. »
Chez Paul Ruben Brami, directeur du cabinet 26 Patrimoine, le constat est différent. « Parmi mes clients les moins avertis, beaucoup commencent effectivement par demander à ChatGPT », observe-t-il. « Ils arrivent ensuite avec des notions mal comprises, ou avec des raisonnements biaisés. L'IA donne des informations, mais jamais parfaitement adaptées à la situation du client. »
Le problème vient souvent du manque de contexte transmis à l'outil : « Pour que ChatGPT réponde correctement, il faudrait lui raconter toute sa situation personnelle, professionnelle, familiale. Les clients ne le font pas, ou mal, donc la réponse n'est pas juste. »
Ces limites ne sont pas nouvelles. Les IA conversationnelles ont longtemps été réputées pour donner des informations approximatives ou datées. Si leurs modèles s'enrichissent, les conseillers restent très prudents. « Oui, ça évolue », admet Aymeric Richard. « Mais tout n'est pas encore utilisable. On en est au début. Dans certains domaines, on voit déjà des avancées, mais il faudra encore quelques années avant d'avoir un outil parfaitement fiable. »
Des informations pas toujours à jour
Pour lui, les risques existent autant sur la précision des réponses que sur la manière dont les utilisateurs s'en servent : « Il faut faire attention à ce que l'IA peut nous dire. Ça ne répond pas forcément à tout, et cela peut mettre sur de mauvaises pistes. Il ne faut pas l'utiliser à tort et à travers, ni remplacer notre capacité à réfléchir. »
Paul Ruben Brami pointe quant à lui un autre danger : l'obsolescence. « L'IA n'est jamais vraiment à jour. Entre les décisions politiques, les arbitrages budgétaires, les mesures fiscales... il suffit d'une annonce pour que tout change. L'IA ne suit pas ce rythme. » Il cite l'exemple d'une question technique liée au PER : « J'ai eu des réponses totalement contradictoires par rapport à ce qu'indiquaient les textes. Dès qu'on rentre dans le très précis, l'IA n'est pas fiable. Même moi, je ne lui fais pas confiance sur des notions spécifiques. » Pour lui, la conclusion est claire : « C'est bien pour s'éduquer, mais pas pour prendre des décisions. Ça ne suffit pas. »
Pour autant, les deux conseillers reconnaissent que l'IA a un vrai potentiel, à condition de l'utiliser pour ce qu'elle sait faire. « C'est très utile pour vulgariser des notions », admet Paul Ruben Brami. « Si un article est trop complexe, demander à l'IA de simplifier peut aider un client à comprendre l'essentiel. C'est précieux. » Il s'en sert aussi dans son propre travail, mais à la marge : rédaction de mails, reformulation, préparation de documents pédagogiques. « Jamais pour faire une allocation, jamais pour conseiller. »
Aymeric Richard partage cette vision. L'IA est pour lui un « outil de gain de temps », non pas dans le conseil, mais dans les tâches périphériques : rédaction, organisation, recherche documentaire. Il y voit aussi une manière d'accompagner une transformation du métier. « On peut imaginer, d'ici cinq ans, des outils d'IA mis à disposition des clients pour les aider à aller plus loin, et que nous, conseillers, récupérions les informations pour mieux échanger. Cela pourrait enrichir la relation plutôt que la remplacer. »
Loin des discours catastrophistes ou des promesses de fortune instantanée, les professionnels appellent donc à une utilisation raisonnée. L'IA peut informer, vulgariser, structurer une idée. Elle peut aider un épargnant à mieux comprendre ce qu'est un PER, à distinguer un fonds euros d'un ETF, ou à saisir les grandes lignes d'une fiscalité. Elle peut même aider à franchir le pas du rendez-vous avec un CGP, en donnant envie d'en savoir plus. Mais elle reste aveugle à votre situation personnelle, parfois datée, souvent imprécise sur des notions fines — et inapte à intégrer les aspects humains, fiscaux et juridiques d'un projet patrimonial.
En clair, l'IA peut devenir un excellent point de départ. Mais certainement pas un point d'arrivée. Comme le résume Paul Ruben Brami, « c'est bien pour s'éduquer, mais pas pour décider ». À chacun, ensuite, de savoir où placer le curseur entre autonomie numérique et conseil humain.





















