L'essentiel
- Les OAT françaises, garantissant un rendement fixe indexé sur les taux d'intérêt, intéressent les grands comptes et les institutionnels en raison de leur performance et sécurité. Les particuliers ont-ils intérêt à faire de même ?
- Une obligation n'est pas un achat direct à la France : elles sont confiées par l'Etat aux grandes banques et sont ensuite vendues aux investisseurs privés sur un marché secondaire.
- Détenir une obligation d'État offre de la clarté sur les rémunérations futures mais la complexité du fonctionnement des ces titres et leur fiscalité peuvent dissuader certains investisseurs.
Entre 3% et 4% annuels sur une décennie... Depuis le début de l'année, les OAT (obligations à terme) françaises ont de quoi faire rêver. Ces titres de créance de l'État, dont le rendement est indexé sur les taux d'intérêt, garantissent une rémunération fixe (un « coupon » versé une fois par an) pour une période donnée. À une seule condition : que le pays puisse continuer à régler ses dettes. Ce qui n'est pas improbable malgré les incertitudes politiques actuelles : depuis largement plus d'un siècle, la France n'a pas connu de défaut sur ses remboursements !
Ce taux d'intérêt de dette française dépasse 4,50% pour la première fois depuis 2011
Performance établie, sécurité d'un État... Cet actif a tout pour plaire. D'ailleurs, les grands comptes et institutionnels (assets managers, gestionnaires des assurance-vie...) en sont friands ! On peut alors se poser la question : pourquoi ne pas en acheter soi-même ? Et s'assurer une « rente » constante, alors que les performances des fonds sont très variables. « Quand l'OAT est supérieure à 3%, on peut forcément y penser », glisse un actuaire. « Cela peut sembler intéressant, c'est vrai », confirme Philippe Dupuy, professeur d'économie à Grenoble École de Management et président du conseil scientifique du Cercle des épargnants. D'autant que l'investissement est devenu « plus facile et accessible » : il n'y a pas si longtemps, ce marché était réservé à des clients fortunés, avec des tickets d'entrée en millions d'euros !
Un taux de possession « extrêmement faible, et concentré sur les retraités »
Une tradition perdue
Bruno Séjourné, professeur de Sciences économiques à l'Université d'Angers, trouve également pertinent d'y réfléchir. Car il rappelle que cela fait partie de l'histoire financière du pays. « Jusqu'au début des années 90, nous avions une vraie culture de la détention d'obligations d'État ! » Le chercheur évoque par exemple le fameux « Emprunt Balladur » de 1993. Le Premier ministre avait lancé « un appel public à l'épargne », pour obtenir 40 milliards de francs au travers de titres de créances. Mais ça, c'était avant. « Cela date de plus de 30 ans. Depuis, peu de personnes de 50 ans ou moins connaissent encore cette ancienne tradition. » D'ailleurs, il remarque que le taux de possession des obligations est « extrêmement faible, et concentré sur les retraités ».
La raison : le Trésor public a changé d'approche. « Il privilégie la détention indirecte, au travers de l'assurance-vie, de l'épargne retraite... » À partir des années 80, les assureurs ont pu intégrer les OAT dans leurs fonds euros. Ce qui a favorisé l'avènement de ces véhicules. « L'État n'a alors plus eu besoin de vendre sa dette aux particuliers. » Résultat : à la différence du Japon ou de l'Italie par exemple, les Français ont perdu l'habitude de prêter à la Nation. « On redémarre presque à 0. Il faudrait une éducation financière importante, réapprendre tous les mécanismes. »
Accessibles... et complexes à comprendre
Le premier élément à savoir, c'est que les particuliers ne peuvent pas acheter directement les titres à la France. Lorsqu'elles sont émises, les OAT sont confiées par l'État aux grandes banques, qui les cèdent ensuite à des clients institutionnels. L'Agence France Trésor, qui gère la dette du pays, a depuis mis en place un « marché secondaire » à destination des investisseurs privés. Sur la Bourse de Paris (Euronext), on peut ainsi acheter comme tout autre produit (actions...) de nombreuses OAT françaises, aux taux et échéances variables. Dans les faits, ce sont les « 10 ans » qui sont le plus échangées, car elles offrent un couple durée/rendement intéressant.
Pour les acquérir, on passe un ordre (prix, nombre de titres...) via un courtier en ligne, une banque, un conseiller en gestion de patrimoine... La mise minimum (les OAT se vendent par « paquets ») varie selon l'intermédiaire, de quelques centaines à milliers d'euros. Ce marché secondaire est plutôt actif : même s'il est possible de fixer librement son prix d'achat ou de vente, un ordre à un tarif « juste » est souvent rapidement réalisé.
Comment « lire » les tendances de marché et comprendre ce marché secondaire
Mais attention à ne pas se précipiter ! Avant d'appuyer sur le bouton « valider », il faut savoir « lire » les tendances de marché. La valorisation de l'OAT varie en effet selon l'évolution des taux d'intérêt. Le système est complexe à saisir, mais en résumé, son prix s'ajuste en permanence au coupon.
Un exemple : on trouve sur Euronext Paris une OAT livrant 3,2% jusqu'en mai 2035. Admettons que vous achetiez 1 000 euros de ce titre, à sa valeur d'émission. Vous obtiendriez un coupon de 32 euros par an. Or il se trouve qu'un mois plus tard, la France rémunère un peu plus ses nouveaux créanciers, autour de 3,3%.
Si un investisseur choisissait de vous acheter vos obligations 1000 euros, il aurait donc le coupon annuel de 32 euros. Ce qui serait moins intéressant que le taux d'intérêt du marché, 3,3%. Pour que les transactions aient lieu, il vous faudrait alors réduire votre prix de cession autour de 980 euros. Car ainsi, le coupon de 32 euros correspondrait finalement à 3,3% de cette valeur de transaction. Dans ce cas, vous feriez une moins-value.
À l'inverse, si vous patientiez un peu, et que les taux d'emprunt de la France descendaient à 3,1%, votre obligation à 3,2% serait meilleure que le marché. Dans ce cas, vous pourriez la proposer à près de 1030 euros : 32 euros de coupon, c'est 3,1% de 1030 ! Et il faut faire ses calculs ! Parce qu'à l'échéance, que l'on ait acheté ses titres 980, 1000 ou 1030 euros, l'État remboursera la valeur d'émission, soit dans ce cas 1000 euros.
Attention à une « connaissance imparfaite des mécanismes de variation des cours »
Vous avez suivi ? Bravo ! Comme on peut le voir, gérer type d'actif est plutôt exigeant ! Bruno Séjourné ne recommande d'ailleurs pas de jouer aux achats/ventes. « La détention jusqu'au terme était une habitude des particuliers, car elle s'accompagnait généralement d'une rentabilité réelle positive. » Tout en évitant les erreurs d'une « connaissance imparfaite des mécanismes de variation des cours ». Autant se positionner « long terme », pour récupérer coupons et capital. « On pourrait retrouver cette approche, en base d'un portefeuille de valeurs mobilières. »
Avantages réels
Si l'on ose franchir le cap, ces titres ne sont pas dénués d'avantages. Le plus évident, c'est la « clarté » : la règle du jeu est précise ! Il est même facile de cumuler plusieurs titres aux taux et dates d'échéance différents. Comme on l'a vu, le second avantage, c'est que sauf immense catastrophe, le capital est garanti. Ce qui n'est pas le cas avec des produits structurés, SCPI, actions... Autre élément : une fois que l'on a réglé les frais de transaction à son courtier, l'actif ne suppose pas de ponctions supplémentaires, notamment de gestion.
« 3%, c'est une performance non négligeable »
Sandy Campart, enseignant chercheur à l'IUP Banque Finance Assurance de l'Université de Caen Normandie, admet que le produit puisse constituer un outil de diversification. « Dans le contexte économique actuel, les actions pourraient être amenées à une correction. » Détenir une obligation généreuse d'un État « premium » comme la France peut alors être une stratégie pour anticiper des années boursières délicates. « Et 3%, c'est une performance non négligeable ! » Il fait le parallèle entre ce produit et les placements du type compte à terme... Mais en plus rémunérateur !
Un dernier argument, c'est que pour des investisseurs, posséder des obligations françaises, c'est un peu « soutenir son pays », en étant connecté au budget de l'État. « On se situe alors au niveau psychologique », sourit Sandy Campart. Même s'il tempère ce sentiment. « Est-ce que l'on soutient le développement économique, ou la capacité de l'État à générer des déficits et augmenter sa dette ? » D'autant que lorsqu'un titre est en vente sur le marché secondaire, l'argent est déjà prêté au pays... En l'achetant, on récupère seulement les coupons !
Un truc de pro ?
Le professeur grenoblois Philippe Dupuy, qui a lui-même géré des poches obligataires pour des Plans d'épargne retraite, appelle à la vigilance. « Une obligation, c'est quelque chose de très technique, très comptable. » Il est par exemple « indispensable » de réinvestir les coupons dans le bon tempo. Sinon, « on ne touche pas l'intégralité de la performance possible ». C'est l'effet « cliquet » : réinvestis, les intérêts génèrent des intérêts. « Surveiller les plus-values ou moins-values, savoir quand acheter ou céder des titres... On est déjà dans du trading d'expert », suggère aussi un courtier. En effet, les professionnels doivent anticiper l'évolution des taux, l'inflation, savoir quand ouvrir ou fermer une position...
« C'est très difficile pour un particulier non averti de maîtriser cela »
« C'est très difficile pour un particulier non averti de maîtriser cela, tranche Philippe Dupuy... Il est très important de ne pas se tromper. Dans des moments où il faudra arbitrer, on va souffrir de l'absence d'un gérant ! » Le professeur est clair : il est plus sage de déléguer ces tâches ardues. « C'est bien mieux de rémunérer des spécialistes pour cela ! Ils vont anticiper les tombées de coupons, seront prêts à les traiter, décideront des choix de réinvestissements selon les courbes des taux... »
C'est justement l'esprit des fonds obligataires : les investisseurs misent, les gestionnaires s'occupent du portefeuille. Mais certains reprochent aux enveloppes d'être floues, avec des positions et performances difficiles à comprendre... Sandy Campart en convient : « les fonds peuvent être peu lisibles sur les performances attendues, en raison des arbitrages réguliers des gérants. » Tout l'inverse du coupon constant d'une OAT ! Philippe Dupuy ne nie pas que « les documents financiers ne sont pas forcément très clairs. C'est toujours très technique. » Pour autant, il balaye l'idée d'un manque de transparence. « L'achat d'obligations, le réinvestissement des coupons, ce sont des opérations très simples pour un professionnel. »
« Le portefeuille contient des titres achetés précédemment sur des niveaux plus bas »
Alors pourquoi leurs performances ne suivent pas les taux de la France ? « C'est que le portefeuille contient des titres achetés précédemment sur des niveaux plus bas », explicite le professeur. Le stock émousse la performance. La tactique des pros est alors de calculer finement le plus intéressant entre se débarrasser d'un titre bradé ou le conserver pour récupérer le capital. Bref, Bruno Séjourné juge que les fonds obligataires offrent tout de même « une diversification facile et une gestion dynamique »... bien plus accessible et facile pour l'investisseur. Il existe même de rares produits indiciels de type ETF pouvant répliquer en partie les fluctuations des OAT.
Fonds datés obligataires : opportunités de placement et explications
Plus stables, mais plus imposés !
En réalité, les Français en possèdent beaucoup, des titres d'État ! Souvent, sans le savoir. Car elles constituent la base des fonds euros de l'assurance vie, des PER... « Ce sont avant tout de gros portefeuilles obligataires », résume Bruno Séjourné. « Les épargnants ont de la chance : les meilleurs fonds euros livrent aujourd'hui 3% ou plus », explique notre courtier, qui refuse de vendre des obligations en direct : « Aujourd'hui, avec une liquidité totale, ils payent quasiment l'OAT à 10 ans. Et c'est sans risque ! » Néanmoins, la performance des actifs généraux varie beaucoup dans le temps. On a pu voir des taux annuels chuter à moins de 1% autour de 2020. Alors que des OAT 10 ans antérieures, à 3% ou 5%, n'ont pas fluctué !
Le « en direct » serait alors plus intéressant qu'un fonds euros ? « Tout dépend du but de son investissement, analyse Philippe Dupuy. Si l'on est dans un objectif de transmission, de préparation à la retraite, les fonds euros des assurances vie et des PER sont bien plus adaptés. » Pour Bruno Séjourné, un élément fait vraiment la différence : l'imposition. « Une OAT, ce n'est pas intéressant fiscalement. Depuis les années 90, les anciens avantages ont disparu. Car ce n'est plus une priorité pour l'État. » Les obligations ne peuvent être placées que sur un compte-titre. Les coupons et éventuelles plus-values sont donc obligatoirement soumis à la Flat Tax de 30%. De quoi décourager plus d'un épargnant !
Assurance vie : le comparatif des contrats à frais réduits
Sujet marginal
Complexité, perte de culture, fiscalité importante... Si les coupons sont alléchants, les obligations comportent de nombreux inconvénients. De quoi faire dire à Bruno Séjourné que « le mouvement ne sera jamais massif. Cela reste un sujet marginal. Je pense que la majorité des investisseurs espèrent tout simplement que les fonds euros intègreront progressivement la hausse des taux ! »
« La majorité des investisseurs espèrent tout simplement que les fonds euros intègreront progressivement la hausse des taux »
À ses yeux, un seul élément pourrait changer la donne. « Si les pouvoirs publics décidaient de relancer un emprunt public. On pourrait alors voir un retour des avantages fiscaux, une dynamique de commercialisation par les réseaux bancaires. » Un scénario qu'il ne juge d'ailleurs « pas impossible, dans nos environnements un peu complexes ». Après tout, les discours politiques n'évoquent-ils pas la mobilisation nationale, la mise en action des Français, le fléchage de l'épargne ? Appeler à soutenir l'État... ce serait presque une suite logique !