Sans budget après la censure du gouvernement Barnier, la France tombe en effet le 1er janvier sous le coup de la « loi spéciale ». Un texte purement technique, autorisant seulement le gouvernement à lever les impôts et dépenser les mêmes crédits qu'en 2024, sans les mesures nouvelles qui figuraient dans le projet de loi de Finances (PLF) en préparation.
Par exemple, pas d'indexation du barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation, au risque d'entraîner, selon Bercy, « 380 000 nouveaux foyers » dans l'impôt, et de l'alourdir pour les autres. Pas non plus de déblocage d'aides promises aux agriculteurs, ni aux territoires ultramarins, touchés par de multiples crises.
La Nouvelle-Calédonie, dont le premier gouvernement conduit par un indépendantiste est tombé mardi après la démission des membres loyalistes de Calédonie ensemble, ne peut recevoir un prêt d'un milliard d'euros pour se reconstruire, après les émeutes entamées mi-mai, qui ont fait 13 morts.
Inquiétude des ménages
Dès la passation de pouvoir avec Antoine Armand lundi soir, le nouveau ministre de l'Economie et des Finances Eric Lombard a affirmé « l'urgence sociale » au premier rang de ses priorités. Évoquant les « sensibilités différentes » au sein du gouvernement, il a assuré : « Au sein de ce collectif, je porterai mes convictions, n'en doutez pas ».
Lundi sur BFMTV, François Bayrou a lui souhaité « un budget d'ici mi-février ». Pour faire vite, il souhaiterait repartir du PLF de l'ancien gouvernement de Michel Barnier. Les enquêtes de l'Institut national des statistiques (Insee) montrent l'inquiétude des ménages et des patrons depuis la dissolution. Peu de consommation, d'investissements, d'embauches : le taux de chômage remonterait à 7,6% en juin prochain, et l'Insee dépeint un « paysage morose ».
La croissance, selon l'Insee, stagnera à 0,2% à chacun des deux premiers trimestres, d'où la quasi-impossibilité qu'elle atteigne 1,1% en 2025 comme anticipé dans le PLF. François Bayrou s'est dit sensible, lundi, au « signal d'alerte » inédit lancé d'une même voix aux politiques, la semaine dernière, par les trois organisations patronales (Medef, CPME, U2P) et quatre des cinq syndicats représentatifs (à l'exception de la CGT) sur les risques économiques et sociaux « que l'instabilité génère ».
Parmi les « Himalaya » auxquels il dit devoir se confronter, figurent surtout la dette, qui a atteint fin septembre 113,7% du PIB soit 3.303 milliards d'euros, et le déficit public. Celui-ci a plongé à 6,1% du PIB cette année. Michel Barnier espérait le ramener à 5% fin 2025. « Cinq, un peu plus de cinq » est la cible un peu plus mouvante évoquée lundi par François Bayrou.
Déjà en procédure de déficit excessif, la France a été autorisée par Bruxelles à revenir seulement en 2029 sous la limite imposée de 3% de déficit public, plutôt que dès 2027, mais tout dérapage supplémentaire risquerait d'entraîner des sanctions, et une défiance accrue des marchés sous forme de taux d'intérêt relevés.
Devant les risques de la « fragmentation politique » française, l'agence de notation Moody's a abaissé la note souveraine du pays dès le 14 décembre, puis celle des banques françaises. Une nouvelle censure du gouvernement projetterait la France dans l'inconnu.
L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) a calculé que, si la loi spéciale devait perdurer toute l'année 2025, le déficit public se creuserait encore l'an prochain, atteignant 6,1 à 6,4% du PIB. Il a alerté du risque de « falaise budgétaire ».
Le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, qui a évoqué « le flou » des propos de M. Bayrou lundi et dont le groupe de députés a le pouvoir arithmétique d'éviter la censure au gouvernement, ne voit pas pour l'instant de raison de ne pas censurer.
Tout en reconnaissant que le nouveau ministre de l'Economie et des Finances Eric Lombard, jusqu'alors directeur général de la Caisse des dépôts, est « un homme de gauche », outre « un ami », il s'est interrogé sur BFMTV : parmi une « panoplie » de « personnalités en contradiction complète avec ses convictions, aura-t-il les mains libres ? »