Les opposants à une poursuite de l'abaissement des taux pourraient sortir renforcés des projets du futur gouvernement allemand qui veut dépenser des centaines de milliards d'euros pour réarmer le pays et soutenir une économie qui a affiché deux années de récession.

A l'issue de la réunion jeudi des gardiens de l'euro, une nouvelle réduction de taux semble toutefois acquise selon les observateurs, pour marquer la confiance de l'institution dans le retour progressif de l'inflation à l'objectif de 2%.

Ce serait le cinquième assouplissement d'affilée – le sixième depuis juin dernier. Le taux de dépôt, qui fait référence, devrait être ramené de 2,75% à 2,50%, après une nouvelle baisse de 0,25 point. En abaissant progressivement le loyer de l'argent, la BCE cherche à soutenir le crédit et ainsi la reprise économique.

Compte à terme et livret bancaire : une mauvaise nouvelle pour les taux ce jeudi 6 mars ?

Multiples inconnues

Mais le contexte oblige la BCE à jongler entre des objectifs parfois difficiles à concilier : maîtriser l'inflation tout en soutenant la croissance dans une zone euro fragilisée par des crises successives. Avant de se réunir, les membres de la BCE sont apparus divisés sur la suite du cycle monétaire.

Isabel Schnabel, membre du directoire, a suggéré qu'il était peut-être temps de discuter d'une pause dès mars, car les taux se rapprochent déjà d'un niveau qui ne pénalise ni ne favorise l'économie, ne laissant guère de marge pour les assouplir encore.

D'autres, comme Yannis Stournaras, gouverneur de la Banque de Grèce, estiment qu'il est trop tôt pour ouvrir ce débat, vue la récente quasi-stagnation du PIB de la zone euro au dernier trimestre de 2024, notamment du fait d'un coût élevé de l'emprunt.

Mais si les dépenses colossales prévues par l'Allemagne, en s'affranchissant du dogme de la rigueur, dopent la croissance européenne et l'inflation, « alors, nous pourrions voir les attentes de baisse des taux de la BCE être reconsidérées », souligne Kathleen Brooks, directrice de recherche de la plateforme de trading XTB.

La tendance à l'investissement touche l'ensemble de l'Union européenne : la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté mardi un projet de 800 milliards d'euros destiné à renforcer la défense du continent, qui sera examiné au cours d'un sommet européen jeudi à Bruxelles.

Revers de la médaille des annonces allemandes, le taux de rendement des obligations à dix ans (Bund) qui sert de référence dans la zone euro, a bondi mercredi, enregistrant sa plus forte progression sur une séance depuis la réunification de l'Allemagne en 1990.

Nouvelles prévisions

Hors zone euro, en revanche, « les incertitudes mondiales ont fortement augmenté » depuis le début de la seconde présidence Trump, selon Felix Schmidt. Avec les droits de douane élevés imposés par Washington, notamment à l'encontre de la Chine, l'UE pourrait bientôt être concernée.

La croissance européenne risquerait alors d'en pâtir, ce qui accentuerait la pression en faveur de nouvelles baisses de taux. L'évolution du conflit en Ukraine, pays qui ne peut plus compter en grande partie sur l'aide américaine face à l'agresseur russe, pourrait également influencer la trajectoire économique. Ces risques ne seront pas encore pleinement intégrés par la BCE qui va actualiser jeudi ses prévisions économiques.

Elle prévoit à ce jour une inflation à 2,1% et une croissance du PIB de 1,1% pour 2025 en zone euro. Annalisa Piazza, analyste obligataire à MFS Investment Management, anticipe une « légère révision à la hausse de l'inflation, en raison des prix de l'énergie et d'un euro affaibli ».

En revanche, la croissance du PIB « pourrait être revue à la baisse, notamment en raison de la faible croissance à fin 2024 ». La Réserve fédérale américaine (Fed) a déjà suspendu ses baisses de taux, en raison de l'inflation persistante aux Etats-Unis, ce qui a fortement déplu à Donald Trump.