La décision de créer cet euro numérique - une forme électronique de monnaie émise par la BCE - n'a pas encore été prise et son lancement potentiel reste improbable avant 2027 ou 2028, selon des responsables interrogés par l'AFP.

Mais lorsque Christine Lagarde, lors d'une conférence de presse le 6 mars, a rappelé qu'une phase préparatoire du projet s'achèverait en octobre 2025, les réseaux sociaux se sont enflammés de messages trompeurs annonçant un lancement imminent.

Payer en euro numérique, comment ça marche et qu'est-ce que ça change ?

Le député européen Harald Vilimsky, du parti autrichien nationaliste FPÖ, a ainsi assuré que la BCE voulait « introduire l'euro numérique en octobre », une affirmation erronée qui a aussi circulé sur les réseaux sociaux en France, Slovaquie, Bulgarie ou encore aux Pays-Bas.

Fausses idées

D'autres idées fausses associées de longue date au projet ont refait surface : l'euro numérique signifierait la « fin de l'argent liquide », permettrait à la BCE de « bloquer » les paiements ou d'« accéder à l'épargne ».

Certaines de ces allégations ont été reprises par Nicolas Dupont-Aignan, président du parti « Debout la France », qui s'en est pris sur X à une « folie pour nos libertés ». « Votre argent ne vous appartiendra plus », alléguait aussi une vidéo TikTok en français partagée plus de 15.000 fois.

Pour Vicky Van Eyck, directrice exécutive de l'ONG Positive Money Europe, cette désinformation révèle une « méfiance envers les institutions centralisées ». De la même manière, de récentes déclarations du président français Emmanuel Macron et de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen sur les besoins d'investissement avaient été détournées par des internautes assurant que les économies de la population seraient confisquées.

« Autonomie stratégique »

Alors que l'utilisation de l'argent liquide décline, la BCE et des dizaines d'autres banques centrales à travers le monde préparent ou mettent en place des monnaies numériques de banque centrale (MNBC).

Les infox autour de la supposée fin de l'argent liquide sont devenues un leitmotiv complotiste depuis le Covid, mais la BCE souligne que l'euro numérique viendrait compléter les espèces, pas les remplacer. Fort d'un statut de monnaie légale, il serait sans risque et conservé dans un portefeuille numérique. Les paiements pourraient être effectués en ligne ou hors ligne et anonymisés.

La BCE soutient qu'un euro numérique renforcerait « l'autonomie stratégique » de l'Europe. Il permettrait en effet des transferts directs entre utilisateurs, offrant un service de paiement pan-européen qui pourrait réduire la dépendance aux géants américains comme Mastercard, Visa, Apple Pay ou PayPal.

« Cette dépendance expose l'Europe à des risques de pression économique et de coercition », a averti la semaine dernière Philip Lane, chef économiste de la BCE, faisant référence aux tensions transatlantiques depuis le retour au pouvoir du président américain Donald Trump.

Pour Lane, un euro numérique permettrait aussi de contrer l'influence des « stablecoins », des monnaies numériques privées indexées sur le dollar américain, et de plus en plus populaires.

Convaincre le public

Certains observateurs restent partagés. Ignazio Angeloni, ancien haut responsable à la BCE et chercheur à l'Université Bocconi de Milan, rappelle ainsi que les Européens ont déjà « une pléthore » d'options de paiement faciles et qu'une bonne partie du grand public n'est, à ce stade, « pas intéressée ».

Selon un rapport de la BCE publié en mars, entre 2022 et 2024, la sensibilisation à l'euro numérique est passée de 18% à 40% parmi les répondants de la zone euro. Mais la volonté potentielle de l'utiliser reste inférieure à 50%.

Une bonne communication sera ainsi essentielle à son succès, souligne Van Eyck : « Le gros problème, si l'on n'a pas l'adhésion du public, c'est que l'euro numérique pourrait échouer ».