La décision de S&P Global Ratings intervient alors que l'exécutif peine à convaincre de la pertinence de son projet de budget pour 2025, qui vise à redresser des finances publiques très dégradées avec « 60 milliards d'euros » de baisse des dépenses et de hausse d'impôts. « L'instabilité politique va vraisemblablement perdurer pendant encore un moment. Il serait légitime que S&P en prenne acte », estime Charles-Henri Colombier, directeur de la conjoncture chez Rexecode, auprès de l'AFP.

En mai, l'agence de notation américaine avait abaissé d'un cran la note française, de « AA » à « AA- », avec une perspective stable, réduisant les risques d'une nouvelle dégradation dans l'immédiat. Mais « il serait étonnant de ne pas avoir d'action défavorable concernant la France, avec au minimum un passage en perspective négative », avance Norbert Gaillard, économiste et consultant indépendant, auprès de l'AFP.

Depuis le printemps, les « mauvaises nouvelles » se sont accumulées dans une France déjà lourdement endettée, figurant parmi les cancres européens, note-t-il : dissolution de l'Assemblée nationale, « atermoiements » autour de la nomination du Premier ministre et « révisions alarmantes » des prévisions de déficit public.

« Stress »

En octobre, Moody's et Fitch avaient maintenu la note française en l'assortissant d'une perspective négative. M. Gaillard évoque deux autres scénarios éventuels : une nouvelle dégradation de la note ou son placement sous surveillance négative (« rating watch ») pour signaler un « stress important » susceptible d'évoluer rapidement.

S&P accorderait alors un court sursis à la France avant d'ajuster sa notation. « Pour prendre sa décision, l'agence attendrait de voir le vote du budget, les mesures budgétaires et fiscales qu'il contient, et si le gouvernement se maintient ou chute », selon lui.

Si une perspective devenant négative aurait peu d'impact sur les coûts d'emprunt de la France, les tensions seraient en revanche accrues en cas rétrogradation de la note, qui passerait dans une catégorie inférieure, jugée moins sûre par les grands investisseurs qui s'en détourneraient. Cela « impliquerait donc des ventes nettes de ses obligations sur les marchés, et ensuite une forte baisse de la demande. Cela entraînerait mécaniquement une hausse du taux de rendement », explique Eric Dor, directeur des études économiques à l'IESEG School of Management, dans une note.

Minoritaire, le gouvernement de Michel Barnier avance en terrain miné. Il souhaite ramener le déficit public de 6,1% du PIB en 2024 à 5% en 2025, puis sous le plafond européen de 3% en 2029, une trajectoire approuvée mardi par Bruxelles. Mais au terme d'âpres débats, il envisage de recourir à l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter sans vote les budgets de la Sécurité sociale et de l'Etat ainsi que l'exécution budgétaire pour 2024, risquant à chaque fois d'être renversé par une motion de censure de la gauche, que le RN menace de soutenir.

« Tempête »

Cette éventualité aurait des conséquences sévères, selon Michel Barnier, qui a alerté mardi sur TF1 : « il y aura une tempête probablement assez grave et des turbulences graves sur les marchés financiers ». Les marchés se montrent déjà agités. L'écart (« spread ») entre les taux souverains français à 10 ans et ceux de l'Allemagne, considérée comme une valeur refuge en Europe, a atteint mardi son plus haut niveau depuis 2012.

Sans budget, « ça veut dire que le déficit public de notre pays continuerait à se creuser. Ça veut dire que les taux d'intérêt de notre dette continueraient à augmenter. On va arriver déjà à 60 milliards d'euros par an rien que pour les taux d'intérêt de notre dette. Est-ce qu'on veut que ça atteigne 70, 80 milliards ? Non », a averti le ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, sur France Inter.

Déjà, les taux de la France sont supérieurs à ceux de l'Espagne et du Portugal, et avoisinent ceux de la Grèce, pourtant moins bien notés. « Les députés n'ont pas pris la mesure du défi qui est devant nous, c'est très inquiétant », regrette M. Gaillard alors que jeudi s'annonce un débat tendu à l'Assemblée nationale sur l'abrogation de la réforme des retraites de 2023.