Retards, relations trop étroites entre les entités notées qui, Etats mis à part, sont aussi les payeurs, manque de qualifications, vision trop compartimentée de l'économie : sans rendre les agences responsables des crises, trois spécialistes dressent sur leur petit monde un constat peu amène.

« Il faut balayer les agences de notation telles qu'elles ont existé car elles n'ont rien vu », a lancé mardi Jacques Delpla, économiste chez BNP Paribas, dans une allusion à la crise de la dette grecque et à celle des « subprimes » (prêts immobiliers à risque). « L'expertise est mauvaise, il faut moins de diplômés d'écoles de commerce et plus de thèses en finances », a-t-il estimé, devant une mission du Sénat français sur la crédibilité des agences lancée le 13 mars et présidée par la sénatrice PS des Pyrénées-Atlantiques, Frédérique Espagnac.

Un manque criant d'effectifs

Lors d'une précédente audition, d'anciens salariés de Moody's et de Standard and Poor's avaient témoigné d'un manque criant d'effectifs. Standard and Poor's a récemment précisé employer plus de 1.300 analystes dans le monde, dont 400 en Europe et une soixantaine en France et ne pas confier plus de 9 à 10 dossiers par analyste.

Pour Paul Jorion, ancien trader et docteur en sciences sociales, la tâche des agences, qui consiste à prévoir le risque de défaut de paiement d'un émetteur de dette, « est extrêmement difficile ». Et « leurs modèles sont de très mauvaise qualité » mais « les économistes n'en ont pas de meilleurs ». Il constate aussi les « effets pervers » de la logique de marché. Celle-ci a conduit les trois plus grandes agences, concurrence oblige, à noter sans le recul nécessaire ces fameux crédits « subprime », dont les défauts en cascade ont marqué le début de la crise financière en 2007.

« On ne peut pas épingler à mon sens les agences de notation » sur « la pression excessive de l'actionnaire ». « Il y a quelque chose à corriger à l'intérieur du système capitaliste dans son entier », a-t-il déclaré. Pour lui, « il faudrait empêcher que soient produits et vendus des instruments financiers dont nous n'avons pas la capacité d'évaluer le risque ».

Adrian Blundell-Wignall, directeur adjoint de la direction des affaires financières et des entreprises de l'OCDE, souligne le risque de conflits d'intérêts dû au système de l'émetteur noté et payeur à la fois. Il s'alarme par ailleurs de l'usage des notes comme points de référence dans les fonds de retraite, ce qui peut conduire un gestionnaire de fonds à vendre massivement des titres au-dessous d'une certaine note. Cet usage est « bien plus important en termes de mouvements provoqués sur le marché que leur utilisation dans les réglementations officielles », estime-t-il. Il préconise la création d'un tampon ou d'une interface entre l'émetteur et l'agence de notation. « Cette plateforme pourrait être le marché boursier ou une nouvelle entité », dit-il.

Pour toute émission de titre, il faudrait payer cette plateforme, qui déciderait de l'agence de notation à choisir. « Il ne s'agirait pas nécessairement des trois grandes », Standard and Poor's, Moody's ou Fitch Ratings, « il y a un plein d'agences de notation en Asie par exemple ». Il exclut en revanche totalement la création d'une agence officielle de l'Union européenne pour les dettes souveraines. « Il y aurait des pressions énormes », s'exclame-t-il.

M. Delpla, lui, recommande la création d'agences européennes « sur le modèle des fondations universitaires où l'Etat met de l'argent mais ne peut intervenir ». Il n'a pas non plus épargné devant les sénateurs des « autorités complaisantes » qui « ont beaucoup critiqué les agences ». « Si on ne prend pas des mesures globales, des crises du niveau de celles de 2008 et 2011 vont se reproduire immanquablement », prédit pour sa part M. Jorion.